Après la dissolution du gouvernement de transition de Bernard Gomou, la semaine dernière, le chef de la junte militaire guinéenne Mamady Doumbouya a fait le choix d’un ministre politique, technocrate qui a la maîtrise des marécages politiques guinéens et des données topographiques de ces bas-fonds pas comme les autres.
M Bah Oury est un brillant économiste de formation qui a consacré une grande partie de sa vie au combat politique.
Avec cette nomination Mamady Doumbouya a fait le choix d’un ministre, politique, technocrate et compétent pour remplacer Bernard Gomou à la primature.
Un pari pour tenter de retrouver, avant la fin de la transition politique, « l’audace » et le « mouvement » du début de son deuxième gouvernement de transition.
Son arrivée à la primature montre aussi la volonté du président de ressouder le peuple, fracturé par les abus et les injustices de ces deux dernières années, même s’il se montre très discret sur ce sujet.
A travers cette nomination, c’est aussi un message à l’opinion qui est envoyé.
Il doit jouer au dépassement des clivages
Bah Oury pour réussir sa mission doit jouer au « dépassement » des clivages cher au peuple de Guinée. Car il n’y a pas de prime pour ceux qui sortent de cet espace central, pas de fatalité à devoir se déporter sur le chemin de l’ancien gouvernement de transition guinéen.
C’est une impérieuse nécessité de tourner dos à ces clivages sur fond d’ethnisme politique, cette fatalité exorcisée qui freine depuis six décennies d’indépendances le développement de la Guinée.
L’ethnicité est en train de devenir une approche essentialiste et primordialiste privilégiée, au nom d’un certain « réalisme » ou « pragmatisme » professionnel dans les procédés de résolution des conflits dans notre pays.
Bah Oury doit surtout former un gouvernement avec un « faire savoir » hors pair. Il doit ponctuer son passage à la primature d’annonces présentées comme « chocs », saturant les médias et maîtrisant les réseaux sociaux, en ôtant le costume de politicien pour devenir un rassembleur.
Le peuple espère aller à l’essentiel et surtout à un retour rapide à l’ordre constitutionnel.
De quoi nourrir le nouveau récit du gouvernement de transition: un mélange de fraîcheur et de tradition, de prime à l’autorité et de priorité.
Il doit surtout éviter d’avoir un profil de « supercollaborateur » effacé, souffrant d’un béni-oui-ouisme se contentant assez bien d’être dans l’ombre du général président Mamady Doumbouya.
Mais que Bah comprenne que le costume qu’il vient de porter ne peut pas rester aussi longtemps repassé
Pour accomplir cette mission, il lui faut impérativement faire de la probité intellectuelle sans faille des membres du gouvernement, de la déclaration des biens et du patrimoine de son futur gouvernement, l’un des critères de recrutement par excellence.
Il a désormais la charge de diriger le gouvernement de transition et de former un cabinet de large ouverture.
Et ce futur gouvernement doit dans la situation actuelle avoir pour principal objectif de stabiliser le pays et de le préparer pour le retour rapide du pouvoir au civil avec des institutions fortes et indépendantes.
Nous sommes plus que jamais à la croisée des chemins car la junte militaire guinéenne a fait le choix d’engager le pays dans une transition politique trompe l’œil.
Elle souffre depuis d’une incommunicabilité notoire, d’un manque d’écoute qui font qu’elle est plus que jamais incomprise.
Et elle exerce de plus en plus un pouvoir injuste, arbitraire, démagogique que beaucoup de guinéens sont aujourd’hui tentés de regretter le régime déchu d’Alpha Condé.
Le peuple de Guinée ne suit plus ou n’arrive plus à comprendre la démarche du psdt Mamady Doumbouya.
Certes les chantiers sont énormes: ouverture d’un dialogue social et politique inclusif avec les forces politiques et sociales du pays, fin du muselage des médias privés, cherté du coût de la vie, moralisation de la fonction publique, et retour à l’ordre constitutionnel.
Mais de façon générale, si vous acceptez de répondre à la demande des guinéens tout en incarnant la ligne demandée qui porte sur , la restauration des fondamentaux : respect des droits humains, unité, solidarité, sécurité, retour à l’ordre constitutionnel, vous sortirez gagnant.
Et votre costume ne se froissera pas si rapidement.
Mais si vous décidez de faire comme vos prédécesseurs, vous serez juste une bulle qui n’a pas de fond. Et ce serait bien dommage.
Aïssatou Chérif Baldé