Décryptage de la crise politique actuelle au Sénégal.
Le Sénégal change mais il est en train de changer dans la douleur et pour la mauvaise cause.
Il y a depuis quelques années un glissement progressif qui s’opère sous les auspices de la République.
Karim Wade a été poursuivi et condamné pour dilapidation de deniers publics avérée mais par une justice d’exception que l’on a fait renaître de ses cendres juste pour la circonstance.
Et sa détention comme gros délinquant financier aura été une illusion d’optique;l’heureux condamné est sorti nuitamment de prison pour prendre un jet privé à destination du Qatar qui a su manœuvré un deal qui reste nébuleux jusqu’à aujourd’hui, même si les tenants les aboutissants de cette rocambolesque affaire commencent à se faire voir.
Car il est question d’ailleurs de l’amnestier pour rendre possible son éligibilité à la prochaine Présidentielle de 2024.
L’histoire pourrait alors retenir dans le schéma des records que nul autre criminel de la République n’aura pu bénéficier d’une telle aubaine.
L’ancien maire de Dakar Khalifa Sall a connu sensiblement la même mésaventure : il est clair que lui aussi a utilisé les fonds de la Mairie pour une destination qui ne devrait pas être la leur.
Il a été condamné à juste titre pour ce chef d’accusation avant de retrouver la liberté à la suite d’une grâce de complaisance.
Et il est lui aussi bienheureux pour avoir échapper à la peine qu’il méritait.
Changement du paysage politique et deux poids deux mesures de la justice
Entre-temps, le paysage politique a découvert une nouvelle figure du nom de Ousmane Sonko, hier encore anonyme mais victime d’un acharnement ayant conduit à sa radiation de la fonction publique, sous prétexte d’avoir révélé des secrets qui auraient dû rester secrets.
Cette sanction manifestement disproportionnée a fait de ce jeune inspecteur des impôts un martyr devenu une icône des jeunes et, dans les faits, chef de l’opposition.
Depuis, il subit harcèlement et violation de ses droits les plus élémentaires( agressions physiques et morales récurrentes des forces de sécurité, résidence surveillée sans aucun fondement, diabolisation permanente, provocations tous azimuts).
Ousmane Sonko est sous la menace de deux affaires pendantes, prétextes de toutes les dérives qui se constatent dès lors que la Justice veut retrouver son mot à dire.
Il est vrai qu’on peut regretter certains excès manifestes de ce jeune révolté.
Et on ne comprendra peut être jamais ce qui a bien pu pousser un député de la République à aller “se faire masser” notamment, en période de covid assortie de couvre feu dans un salon.
Mais on voit bien dans ces poursuites l’œuvre d’une justice aux ordres.
Une tempête politique sur fond de troisième mandat
En réalité, toute cette tempête qui secoue le Sénégal depuis quelque temps doit être corrélée avec l’ambition à peine voilée de l’actuel Président de la République Macky Sall à vouloir solliciter un troisième mandat dont il avait déjà déclaré à l’envi n’en n’avoir pas droit.
Les masques sont en train de tomber. Mais la manœuvre était programmée depuis l’origine.
Avant même d’avoir été Président, Macky Sall s’était engagé à ramener la durée du mandat de 7 à 5 ans.
Une fois élu, il fait dire au Conseil Constitutionnel qu’il était impossible de remettre en cause un mandat que le Peuple souverain avait fixé bien avant les suffrages.
C’est une manière de se dédire par Conseil constitutionnel interposé.
Dans le même temps, le Ministre de la justice Ismail Madior Fall qui s’est lui-même auto proclamé tailleur de haute couture de la Constitution décide de faire croire que désormais tout avis est devenu décision avec effet impératif.
Et il réaffirme que le Président ne peut se représenter pour un troisième mandat, car ensemble, ils ont verrouillé la Constitution avec une formule univoque “NUL NE PEUT FAIRE DEUX MANDATS CONSÉCUTIFS.”.
Mais au fil du temps, l’affirmation se ramène à un simple principe qui peut dès lors connaître une exception.
Récemment le même Ministre déclare pour justifier sa versatilité qu’il a en lui 3 personnalités : l’universitaire de renom, le politique et le ministre de la République. Selon ses dires, ces différentes postures appellent des positions différentes en fonction des circonstances et du moment.
Le président fait déjà campagne sur fond de dérives
Parallèlement, le Président qui garde encore le silence sur la question de troisième mandat et fait campagne pour sa réélection prochaine sous le couvert de tournées économiques avec des conseils de ministres décentralisés dans les régions.
Un ancien Premier ministre, Hadjibou Soumare, pose par écrit des questions au Président de la République sur la visite d’un personnage politique français controversé et raciste (Marine le Pen). Et il est immédiatement placé sous mandat de dépôt, avant d’être mis sous contrôle judiciaire.
L’opposant numéro un, Ousmane Sonko est convoqué à une audience pour diffamation et des émeutes se déclarent dans toutes les régions.
L’État sénégalais en profite pour régler ses comptes avec des agressions, des arrestations arbitraires, de citoyens et de journalistes faisant des commentaires sur les événements, avec comme seul slogan :Force reste la loi.
C’est sous ce ramassis de dérives que se présente la physionomie actuelle du Sénégal.
C’est l’aboutissement d’un processus élaboré de longue date par un président, valet de la françafrique qui n’a jamais été démocrate, mais qui se couvre de ses habits.
On utilise le droit pour se vêtir d’une l’égalité formelle.
C’est la réalité des faits qui dévoile l’illégitimité du process.
Doit on pour autant regarder désormais le Sénégal sous ces débris de la démocratie ?
Il semble bien que non, car le Peuple reste encore vigilant : ce qui s’est passé les 14,15 et 16 mars est suffisamment révélateur.
L’autocratie ne peut vaincre la Liberté.
Aïssatou Chérif Baldé