Les obstacles au processus de démocratisation en Guinée.

Le pluralisme socioculturel ne devrait pas être incompatible avec la démocratie, comme idée et mode de régulation politique en Guinée.

Sauf que de son indépendance en 1958 à nos jours, ce qui, sous d’autres cieux, constitue une richesse de l’espace sociopolitique, est devenu, le «nœud gordien » du marigot politique guinéen. 

Cependant le terme « démocratisation » qui signifie  action de démocratiser, action de rendre démocratique un État ayant connu auparavant un système autoritaire ou totalitaire n’a cessé de rencontrer des obstacles dont les causes restent multiples et variées en Guinée. 

Mais ce blocage n’est pas seulement propre qu’à la Guinée. Il est aussi la réalité de beaucoup de pays africains en phase de transition démocratique. Car ces États se sont engagés, de gré ou de force, dans un processus de démocratisation. 

Les causes de ces obstacles sont multiples. 

Il faut rappeler que la démocratie pluraliste est parvenu dans beaucoup de pays africains à ouvrir la boîte de Pandore et libéré ainsi les vieux démons de l’ethnicisme, du régionalisme, du confessionnalisme ou du tribalisme que les anciens régimes autoritaires avaient réussi jusque-là, sinon à éliminer, du moins à tenir en respect sous le giron d’États-nations. Et la Guinée ne fait pas exception. 

Le débat politique est depuis l’avènement du multipartisme en Guinée beaucoup plus réduit à l’instrumentalisation ou à la manipulation des différences ethniques à des fins strictement électoralistes et ultimement pour accéder ou se maintenir au pouvoir.

C’est pour toutes ces raisons que certains partis politiques avaient par exemple participé aux élections présidentielles du 18 octobre 2020, malgré le fait que cette élection soit fondée pourtant sur une constitution avec une légalité forcée. 

Mieux, ce n’est pas un euphémisme lorsqu’on prétend que les acteurs politiques guinéens, tout bord confondu, procèdent à la substitution de l’intérêt communautaire à l’intérêt national et que par conséquent leurs partis politiques respectifs revêt un caractère népotiste, clientéliste, ethniciste. 

Car les questions essentiellement liées au développement du pays, à la réduction des inégalités sociales, tout comme celles relatives à la sauvegarde des acquis démocratiques, sont reléguées au dernier plan au profit des idéologies ethnicistes, partisanes et claniques. 

Et d’ailleurs pendant les campagnes électorales, il n’est jamais question de programme électoral ou de programme politique, tout tourne autour des questions superflues. 

Or aucune démocratie ne peut s’enraciner dans une société qui valorise une élite cynique, factionnelle, clanique, clivante, médiocre et haineuse. 

Aucune vision d’ensemble des choses, aucune politique sérieuse ne peut être entreprise, avec succès dans un tel contexte.

À côté de l’ethnisme politique comme instrument de blocage de la consolidation démocratique en Guinée, existe cet autre facteur axé sur la déconstruction de la dimension institutionnelle du pouvoir politique par des acteurs politiques eux-mêmes en usant de la culture du mythe du chef dans les sociétés africaines.

Une posture qui a eu en Guinée, depuis le régime autocratique du premier président Sékou Touré jusqu’à nos jours, des conséquences très négatives sur le fonctionnement de L’État , car  donnant à la notion du pouvoir politique un caractère patrimonial.

Dès lors, aussi bien ceux qui gouvernent que ceux qui aspirent à gouverner, se comportent comme si le pouvoir était leur propriété personnelle, un élément de leur patrimoine qu’ils pourraient transmettre à leurs héritiers. 

Et le plus souvent, ces comportements commencent d’abord au sein de leurs partis politiques respectifs et se poursuivent une fois au pouvoir.

La personnalisation du pouvoir par le faux opposant historique Alpha Condé pendant ces dix ans de règne en est un exemple illustratif de la déconstruction de la dimension institutionnelle du pouvoir politique en Guinée. 

L’autre facteur de blocage du processus de démocratisation repose sur l’instrumentalisation de la constitution pour une mauvaise cause, celle de vouloir faire prévaloir des intérêts partisans et individuels et pour le seul bénéfice de ses auteurs. 

C’est ce qui explique que les constitutions depuis 1990 ont toujours été du « taillée sur mesure » en Guinée, c’est-à-dire en faveur d’un chef inamovible.

Une façon donc  d’assurer la pérennité d’un régime, enterrant ainsi, définitivement, toute possibilité d’alternance démocratique en Guinée.

On note aussi cet autre facteur empêchant la consolidation démocratique en Guinée dû à la vaste plaisanterie démocratique orchestrée par la classe politique guinéenne, avec comme tendance majeure la prolifération des partis politiques inutiles.

En Guinée les partis politiques poussent comme des champignons, chacun veut faire de la politique, même s’ils n’ont ni la capacité, ni les compétences, ni les valeurs et vertus morales pour occuper les services publics, ils s’y engagent quand même, puisque l’État guinéen est le seul endroit où l’on peut devenir riche sans fournir des efforts.

Le phénomène est souvent couplé avec celui d’un réel vagabondage politique dont les coupables se retrouvent acteurs au sein de plusieurs partis politiques qu’ils créent suite à des désaccords avec leurs anciens collaborateurs. 

Et ce fait prouve que le système multipartite facilitant la création des partis politiques est mal ficelé en Guinée et favorise immanquablement la discorde sociale dans ce pays avec la naissance de nombre élevé de partis politiques et des candidats qui semblent confondre les élections présidentielles aux élections de quartiers de Conakry.

Une telle situation  exhorte assurément une politique qui ne se fait que dans le contexte régionaliste, ethnocentrique et clientéliste et encourage la comédie démocratique, la polarisation des divisions ethniques et surtout des violences post-électorales meurtrières telles qu’on les a toujours d’ailleurs vécues en Guinée. 

Et les partis politiques au lieu d’être des organisations véhiculant des idéologies, où on parle de projets de sociétés, de projets de développement de la société guinéenne; un endroit où l’on parle d’édification d’une société démocratique caractérisée par une culture politique élevée qui demeure un travail quotidien et incessant; sont passés plutôt maîtres dans l’organisation de véritables calembours déguisés en alliances politiques. 

Celles-ci se font et se défont au gré des enjeux électoraux, juste avant leur précipitation mécanique dans une dislocation plus ou moins parfaite. 

La dislocation en cours du RPG-arc-en-ciel de l’ancien président Alpha Condé et avant celle du PUP du président Lansana Conté illustrent parfaitement cet état de fait. 

Quant aux grands partis politiques de l’opposition, ils sont des victimes constantes de la manipulation du pouvoir visant la scission au sein de leur formation politique.

Ce sont pourtant des éléments qui bloquent la naissance d’une société démocratique sur fond de consensus, de dialogue inclusif. 

Dans ce contexte, la recrudescence des coups d’État militaires suivie du blocage du processus de démocratisation en Guinée ne doit pas surprendre. 

Et la réussite d’une transition politique dans un tel environnement est à la base très minime, puisque l’État en  Guinée ressemble à un fromage dans lequel des rats civils et militaires se font leur trou. 

Ethnisme, régionalisme, népotisme et clientélisme sont souvent les composantes et les causes de l’écrasement des peuples. 

Mieux, la société guinéenne ne fait que la promotion des médiocres et idiots de la République sur fond du néopatrimonialisme. 

Or la valeur d’un État repose sur les individus qui la composent. 

Solutions possibles

Ainsi, pour lutter contre ces  blocages du processus de démocratisation en Guinée; notamment l’ethnisme politique, la comédie démocratique, le tripatouillage constitutionnel, le néopatrimonialisme.

Il est impératif de réinstaurer le caractère institutionnel du pouvoir politique, à commencer par les partis politiques d’abord, afin d’amener les dirigeants à se conformer aux textes préétablis, et ne pas être tentés de les modifier à leurs ambitions politiques personnelles. 

Et surtout les amener enfin à reconnaître qu’ils ne sont que des représentants de la nation et non les propriétaires de la souveraineté.

Il faut cependant mettre en place des systèmes qui vont reconnecter les partis politiques avec leur mission primaire: celle de constituer des vecteurs d’idéologies axées sur la résolution de problèmes de développement dans un monde bloqué par la complexité d’idéaux socio-politiques et économiques.

Et mettre surtout fin au despotisme obscur latent de la classe politique guinéenne, avec pour résultante l’absence de confrontation des idées même au sein des partis politiques. 

Car une chose est certaine, si le processus de démocratisation de la Guinée est sans cesse remis au lendemain, c’est parce que l’élite politique résiste d’une certaine manière à la démocratisation du pays. 

Paradoxalement, on parle ici de l’ensemble de ceux qui sont censés représenter le peuple (les responsables des collectivités politiques et tous ceux qui prétendent les servir) dont les intérêts égoïstes et égocentriques contreviennent à la véritable démocratisation en Guinée. Et ce sont en réalité leurs intérêts qui sont ou seront menacés par une véritable démocratisation.

C’est pour toutes ces raisons que cette élite met tout en œuvre pour rendre les principaux effets du blocage plus solides. 

Ces effets principaux consistent principalement dans l’absence d’un espace public pluraliste, pacifique, civilisé et convivial. Autrement dit : dans le refus de l’alternance politique au sommet de l’État.

Dans ce contexte, elle est sûre que le processus de démocratisation du pays sera toujours remis au lendemain. 

Aissatou Chérif Baldé

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