Le tout nouveau premier ministre et chef du gouvernement Amadou Oury Bah était ce mardi 5 mars 2024 présent à l’ouverture des travaux de la troisième édition de « GUIF ».
Cette édition portait sur le thème «Votre Ouverture sur le marché Guinéen ».
Un discours optimiste dans un contexte économique difficile
Le chef du Gouvernement de transition Amadou Oury Bah qui a présidé cette rencontre a pris des engagements forts qui interrogent.
Il laisse entendre que son objectif à moyen terme c’est d’avoir une croissance économique à deux chiffres.
À l’entame il dira ceci: « Au nom du Président de la République, chef de l’Etat, le Général Mamadi Doumbouya, je suis très heureux de présider le lancement de la troisième édition de Guinea investment forum « GUIF ». Notre présence est une marque de l’intérêt que le président de la République et moi-même portons à l’indispensable nécessité de soutenir et de promouvoir l’essor du secteur privé dans notre pays. C’est important de le souligner parce que beaucoup d’efforts ont été consentis ces dernières années, notamment depuis l’accession du CNRD au Pouvoir, dans la transformation des mécanismes permettant de développer l’économie de notre pays. Beaucoup de chantiers ont été engagés : des routes, des ponts et l’important projet Simandou qui est en voie d’être réalisé ».
« Nous devons par conséquent remettre les pendules à l’heure et relancer le développement économique de notre pays. Nous voulons changer la Guinée, nous voulons changer les paradigmes qui ont fait que pendant près de six décennies nous avons évolué dans une économie de rente qui n’en bénéficie pas à l’écrasante majorité de la population. La rupture avec cette politique nous amène à faire des investissements dans le domaine des infrastructures pour permettre à l’économie d’avoir les leviers solides pour se développer. On ne peut pas développer un pays s’il n’y a pas d’énergie. Le secteur privé ne peut pas se développer s’il n’y a pas suffisamment de capacité en termes d’infrastructures routières », a lancé le tout nouveau premier ministre.
« Ce n’est pas des coups d’humeur, c’est une volonté stratégique par exemple de faire de la bauxite ce que le pétrole est pour l’Arabie Saoudite. Nous voulons une dynamique de transformation en profondeur. Nous allons travailler à moderniser les moyens de l’administration pour qu’elle soit au service de l’économie. Nous voulons développer une alliance stratégique forte, innovante, intelligente entre l’espace politique et l’espace économique (…). L’objectif à moyen terme est d’avoir une croissance à deux chiffres ». ajoutera t-il.
Le peuple de Guinée est las des promesses et slogans politiques
Les guinéens sont habitués aux slogans stériles de la classe gouvernante qui en fait dans des circonstances pareilles de trop.
Or la Guinée est un grand malade économique et politique sur le continent africain.
La classe gouvernante engage le pays après plus de six décennies dans un obscur processus de développement.
Elle fait usage d’une politique sur fond d’un gangstérisme d’État lui permettant de gaspiller, voler les ressources du pays, de saboter tout ce qui doit fonctionner durablement dans le pays tels que l’accès à l’eau, à l’électricité, un système de santé fiable, une éducation de qualité accessible à tous au profit du plus grand nombre.
Ces personnes détestent la cohérence, la transparence, la rigueur préférant systématiquement le bricolage, l’amateurisme, l’improvisation, le hasard et comme à l’image de la gestion de la chose publique sous la junte militaire pilotée par Mamady Doumbouya.
Dans ce cas, le tout nouveau premier ministre doit comprendre que le peuple de Guinée est las des discours qui ne sont jamais suivis d’actes.
Il doit impérativement éviter de répéter les erreurs de ses prédécesseurs et être conscient que les promesses sont l’alpha et l’oméga d’une politique gouvernementale. C’est pourquoi il faut éviter d’en faire de trop.
Car le développement d’un pays doit être axé sur la satisfaction des besoins essentiels des générations actuelles et futures, en rapport avec les contraintes démographiques (eau, nourriture, éducation, santé, emploi), amélioration de la qualité de vie (services sociaux, logement, culture…), le respect des droits et des libertés de la personne, le renforcement de nouvelles formes d’énergies renouvelables (éolienne, solaire, géothermique)etc.
Les promesses irrationnelles ne peuvent donc remplacer cela.
En outre, de tels projets de développement nécessitent des évolutions positives dans les changements structurels d’une zone géographique ou d’une population : démographiques, techniques, industriels, sanitaires, culturels, sociaux…
Il n’y a que ces changements, qui peuvent engendrer l’enrichissement et l’amélioration des conditions de vie des peuples, ainsi que le progrès.
Le développement économique de la Guinée associé à la notion du progrès ne peut pas seulement se limiter à l’exploitation des ressources naturelles. Il doit aussi signifier l’encouragement de l’innovation via les recherches, l’éducation, l’accroissement de la sécurité juridique, la liberté d’expression et d’opinion.
Et la croissance économique dont vous faites allusion n’est qu’une composante du développement économique d’un pays.
Elle ne réduit presque jamais la pauvreté, ne renforce pas la cohésion sociale.
Et dans le cas guinéen, elle a plutôt renforcé les inégalités de façon exponentielle dans le pays.
Mieux, d’une manière plus générale, la croissance correspond, pour une nation, à une augmentation soutenue et durable – pendant une période suffisamment longue – de la production de biens et de services appréhendée par des indicateurs comme le PIB ou le PNB.
Étant donc une notion quantitative et plus abstraite, il ne peut pas y avoir de croissance sans développement et inversement du développement sans croissance.
Et c’est le cas de la Guinée car la croissance économique à deux chiffres n’a jusqu’à présent jamais profité au peuple de Guinée.
Une croissance économique non soutenue, ne peut pas créer les conditions idéales pour une large redistribution des richesses
Car pour avoir une croissance soutenue et durable, pour lutter efficacement contre la pauvreté dans un pays comme la Guinée, l’objectif sera d’augmenter le taux de croissance de façon soutenue et durable, afin de créer les conditions idéales pour une large redistribution des richesses.
Il faut essayer dans ce cas de miser sur la croissance extensive avec une augmentation des quantités de facteurs de production (culture de nouvelles terres, ouverture de nouvelles usines) puisqu’elle génère des créations d’emplois.
Mettre surtout tout en œuvre pour que la croissance soit à la portée de l’économie nationale en donnant la priorité à la réhabilitation et au renforcement des capacités dans le secteur privé national, l’Agriculture, l’Énergie et l’Industrie.
Ce qui signifie qu’il va falloir commencer par accorder une place de choix à la promotion des PME et TPE à travers le développement d’un partenariat gagnant et inclusif avec le secteur privé national.
En effet, les PME/PMI représentent un levier important dans le développement économique de notre pays.
Pourtant, malgré ses potentialités, ce segment d’entreprise reste confronté à des difficultés d’accès au financement, aux marchés, à l’investissement et aux débouchés commerciaux.
Comment y palier ?
Pour y palier, il faut faire des PME de véritables moteurs de la croissance, en apportant un appui affirmé aux opérateurs économiques nationaux à travers:
- une concertation permanente et un dialogue proactif avec le Patronat ;
- une assistance aux PME/PMI dans les efforts de renforcement de leurs capacités managériales et technologiques ;
- la mise sur pied d’un réseau organisé de PME/PMI pour promouvoir les clusters et des « champions nationaux » à l’instar des économies émergentes ;
- la participation des PME/PMI dans les secteurs stratégiques et les grands projets structurants ;
- l’application effective du principe de la préférence aux PME nationales par un pourcentage à déterminer pour les marchés publics à l’instar des pratiques internationales en la matière.
Et il faut surtout parvenir à lever les contraintes qui entravent le développement du secteur agricole telles que difficultés d’accès à l’eau, à la terre et au financement pour instaurer une véritable agriculture moderne et inclusive, reposant sur :
- une véritable réforme foncière en mettant les intérêts et besoins des populations rurales au cœur de celle-ci ;
- le développement de la mécanisation et de l’irrigation agricoles ;
- la fourniture d’intrants agricoles en quantité et en qualité à des prix accessibles ;
- l’organisation efficace des circuits de transformation, de commercialisation et de conservation des produits agricoles et halieutiques ;
- la création d’une structure adaptée de financement de l’économie agricole
Le rattrapage du déficit énergétique est d’une impérieuse nécessité
Par ailleurs, la situation actuelle de la production de l’énergie en Guinée est plus que désastreuse. En dépit des potentialités avérées et reconnues, des investissements colossaux et des promesses fallacieuses, la production de l’énergie nécessaire pour le développement économique du pays est catastrophique.
Or, il est impératif de faire le rattrapage du déficit énergétique une priorité en vue d’augmenter les capacités de production de notre économie à travers :
- l’accroissement de la production d’électricité en s’appuyant en priorité sur la valorisation du potentiel hydroélectrique ;
- la valorisation des énergies alternatives telles que les biomasse, l’énergie solaire;
- l’extension et la modernisation des installations et équipements de transport et de distribution.
Le secteur industriel caractérisé par une conjonction de difficultés
Quant au secteur industriel guinéen, il est caractérisé par une conjonction de difficultés conduisant souvent à une cascade de fermetures d’entreprises.
Et il s’y ajoute une production insuffisamment compétitive, une faiblesse dans le système de promotion et de l’innovation technologique et le coût élevé des facteurs de production notamment l’énergie.
Là aussi, il y’a lieu de proposer une politique industrielle de développement qui repose entre autres sur :
- une politique de relance des activités industrielles dans des conditions assurant une plus grande compétitivité et la possibilité de reconquérir des marchés extérieurs ;
- le renouvellement des outils et parcs industriels ;
- le développement des services financiers de qualité capables de mobiliser les ressources financières nécessaires pour accroître la demande de capitaux d’investissements dans ce secteur en particulier.
La Guinée se trouve dans une transition démocratique
Le nouveau Premier ministre Amadou Oury Bah doit savoir que la Guinée se trouve dans un un processus de transition démocratique.
Et la réussite de toute transition résulte d’une combinaison entre le respect et la mise en œuvre de grands principes démocratiques – sans lesquels il ne peut y avoir de démocratie.
La restriction des libertés d’expressions et d’opinion, d’internet, la censure des médias privés, qui poussent ces entreprises à envoyer leur travailleurs en chômage technique comme c’est le cas de « Hadafo Média » sont des entraves à ces grands principes démocratique.
Si vous ne parvenez pas à faire respecter ces grands principes démocratiques, notamment mettre en avant le retour à l’ordre constitutionnel qui passe par l’élection d’un nouveau gouvernement dans cette phase de transition politique, la Guinée ne connaîtra jamais la stabilité économique et politique ou encore la consolidation démocratique.
Cette transition politique transition démocratique nécessite l’abandon des anciennes règles du jeu politique et suscite l’apparition de nouveaux acteurs politiques et de nouvelles configurations stratégiques et l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement comme le résultat direct du suffrage libre et populaire.
Et c’est cela votre rôle afin que la Guinée se dote d’un gouvernement disposant d’un pouvoir souverain pour générer de nouvelles politiques publiques, et empêcher que les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire nés de la nouvelles démocratie ne soient plus obligés à partager le pouvoir avec d’autres corps de droit tels que l’armée guinéenne.
Aïssatou Chérif Baldé