Guinée: 12 mois de transition politique et quel bilan ?

12 mois, de transition, des bras-de-fer diplomatiques, surdité politique, dialogue social non inclusif, des déclarations tonitruantes, sanctions peu importantes, le retour de la Guinée au sein du pré carré françafrique, des arrestations d’anciens dignitaires, retour des assassinats ciblés sur l’axe, arrestations d’opposants politiques, nominations fantaisistes sur fond de médiocrité, récupération des biens de l’État, lutte contre la corruption organisée, mise à la retraite des fonctionnaires, départ de Mohamed Beavogui: en douze mois l’actualité aura été particulièrement dense en Guinée.

Suffisamment pour faire passer au second plan le discours tenu le 05 septembre 2021 par le président de transition guinéen Mamady Doumbouya. 

Investi le 01 octobre 2021 en tant que président de la transition, le Colonel Mamady Doumbouya, ancien légionnaire français, nouvelle figure de la mafia françafrique et son équipe se sont lentement mais sûrement éloignés du discours du 5 septembre 2021 en transformant l’aspiration au changement en une sorte d’illusion pour ceux qui ont cru à leur volonté de faire de la Guinée un État stable, uni et loin des facteurs de blocage du processus de démocratisation en Guinée. 

En 12 mois, le coup d’Etat a plongé la Guinée dans une nouvelle instabilité politique tandis que la violence persiste de plus belle sur les enfants de l’axe. 

Ni les acteurs guinéens, ni les partenaires internationaux n’ont profité de la transition ouverte après la chute du président Alpha Condé pour remettre le pays sur la voie de l’édification d’un État stable. 

Cet énième coup d’Etat du 05 septembre 2021 a conforté la mainmise des militaires sur le pouvoir et marqué le début d’une période qui nourrit plus de craintes que d’espoirs. Les acteurs étatiques au pouvoir apparaissent fragiles et incapables de mener à bien des réformes pourtant nécessaires.

Les dirigeants guinéens doivent pourtant sauver ce qui doit être au centre d’un projet de transition, notamment en menant une réforme du système électoral qui permettra la tenue d’élections libres et transparentes en proposant aux citoyens de réelles alternatives. 

Sur ce, l’incertitude actuelle ne devrait pas empêcher les partenaires étrangers tels que la CÉDÉAO d’œuvrer sur le long terme, afin d’aider l’Etat guinéen à se reconstruire.

Que se passe-t-il  depuis 12 mois ? 

Pendant ces douze premiers mois d’une période de transition qui doit en durer trente-six, les tensions entre civils et militaires et la fragilité de sa base politique ont paralysé le gouvernement de transition de Mohamed Beavogui. 

La première grave erreur de la junte est que dans la foulée du coup d’Etat du 05 septembre 2021, sans une réelle feuille de route ambitieuse, les militaires du (CNRD ), en la tête Mamady Doumbouya ont habilement manœuvré pour conserver des postes clés au sein des nouvelles autorités de transition.

Ils ont parallèlement créé un gouvernement autour du tout puissant Colonel Amara Camara, composé d’éléments nuisibles issus de la diaspora guinéenne, des hommes de média à la solde, des charlatans politiques de l’ancienne mouvance et de l’opposition politique, des imposteurs de la société civile. 

Ce gouvernement parallèle a affaibli non seulement le gouvernement de transition, mais aussi l’ancien parti au pouvoir le RPG-arc-en-ciel, l’opposition politique et en particulier le Mouvement des forces sociales (FNDC), la principale coalition civile anti-Alpha Condé.

La transition a, du fait de ces manœuvres politiques, fabriqué un premier gouvernement fragile, sans base politique et sociale solide, sans politique gouvernementale, sans feuille de route pour s’atteler aux réformes promises le 05 septembre 2021. 

Une situation qui a conduit au départ de l’ancien premier ministre Mohamed Beavogui.

Un départ prévisible, car pendant des mois, le gouvernement Bea avait cherché à s’affranchir des interférences des militaires et à élargir sa base politique par des consultations avec les forces sociales et politiques, sans succès. 

Pire, son gouvernement dépourvu d’une feuille de route ambitieuse, n’a pu durant ces 12  mois réaliser aucune action d’envergure .

Et sur le plan du dialogue politique, aucune amélioration significative n’est visible, le gouvernement de transition est rapidement apparu en panne, paralysé par des luttes d’influence avec le CNRD, et le FNDC officiellement dissous mais toujours très actif sur le terrain. 

Réaction du CNRD 

Dans ce contexte, un réajustement ministériel opéré en août dernier a mis au jour les tensions qui paralysent l’action du gouvernement de Beavogui. 

La composition du gouvernement de Gomou ne laisse aucun doute sur le fait que les putschistes conservent l’essentiel du pouvoir. Ils gardent la main sur l’exécutif et les marges d’action des autorités civiles sont limitées. 

Conclusion

Ainsi douze mois ans après le renversement du président Alpha Condé, le pays donne à nouveau le sentiment d’un inquiétant retour à la case de départ. 

Le contexte actuel de forte instabilité politique à Conakry où un appel à manifester était lancé ce lundi 05 septembre par les forces vives du pays rend la plupart des observateurs pessimistes sur l’évolution de la situation dans les semaines et mois à venir.

Piste de solution 

Il est cependant possible d’éviter le torpillage de la transition politique en Guinée.

Si les partenaires extérieurs ont leur rôle à jouer dans la crise guinéenne, il revient en premier lieu aux forces politiques et sociales de se ressaisir et de sortir le pays de cette spirale de violence, de chaos et de crises interminables. 

Car les guinéens donnent le sentiment d’une forte lassitude face à ceux qui se disputent les oripeaux du pouvoir depuis douze ans. 

Quant à la junte militaire guinéenne, elle doit œuvrer à clôturer la transition politique par des élections transparentes et équitables, permettant surtout aux citoyens d’élire ceux qui proposent de réelles solutions de sortie de crise. 

Les acteurs politiques guinéens et les partenaires internationaux doivent inscrire leurs actions sur le long terme pour éviter le torpillage de la transition politique en Guinée. 

Concrètement:

La junte militaire guinéenne doit viser à rassembler davantage les acteurs politiques et ceux de la société civile autour des priorités de la transition annoncées au départ telles que l’unité des guinéens,la fin de l’ethnisme politique, de l’exclusion, de l’oppression, de la corruption organisée. 

Mieux, le choix des réformes à entreprendre nécessite un large consensus des acteurs politiques pour éviter les blocages préjudiciables à la bonne marche de la transition tels qu’on le vit actuellement. 

Elle doit éviter l’usage de la violence contre les opposants politiques, ce dont les putschistes n’arrivent pas à se défaire jusqu’ici.

Et toutes les structures politiques du pays doivent encourager la junte militaire guinéenne, dans le cadre des réformes en cours – telles que la moralisation de la fonction publique, l’assainissement du fichier électoral– la mise en place d’un processus national de consultations, inclusif soucieux d’identifier les facteurs de blocages et à laisser à des autorités démocratiquement élues le soin de soumettre à un référendum un projet de nouvelle constitution. 

La junte doit créer les conditions de l’adoption consensuelle d’une nouvelle loi électorale et d’une nouvelle charte des partis  – afin d’assainir le paysage politique, notamment en réduisant le contrôle du ministère de l’administration territoriale sur l’organisation des élections et en remédiant à la prolifération de partis politiques sans programme réel. 

Comment y parvenir

Et pour atteindre ces objectifs la junte doit dévoiler les axes de sa politique gouvernementale, pour qu’on puisse cerner au mieux ses actions et mesurer la portée de son bilan post-transition.

Enfin Mamady Doumbouya doit tout mettre en œuvre pour mettre hors d’état de nuire ces personnes nuisibles, ces habitués du couloir autour de lui, dont l’objectif est de se servir du peuple et de l’État et non de les servir. 

Car à force de vouloir surtout affaiblir les partis politiques, les organisations de la société civile ou de verrouiller toute voix dissidente, dans le but de conserver votre influence, vous continuerez à empêcher l’adhésion du peuple au projet de votre transition. 

Pour un homme d’état, il est toujours possible d’agir et il n’est jamais trop tard pour bien faire. 

Une bonne action peut toujours être faite, même s’il est manifeste qu’elle aurait dû être exécutée auparavant.

Aïssatou Chérif Baldé 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *