Dissolution de partis en Guinée: quelle lecture peut-on faire de cette décision des autorités militaires ? 

Les autorités guinéennes dissout ce 27 octobre 2024 53 partis politiques, suspendent 54 autres partis politiques politiques pour trois mois dont entre autres l’UFD, le PDG RDA, le PUP, ancien parti du feu général Lansana Conté dirigé aujourd’hui par Fodé Bangoura, le NGR de Abé Sylla ancien ministre du gouvernement de transition et Génération citoyenne de Fodé Mohamed Soumah. 

En même temps les autorités militaires décident de mettre sous observation 67 autres partis politiques et pour trois mois en l’occurrence les principaux partis politiques avec une forte base électorale dont entre autres: le RPG arc en ciel, UFDG, BL, PEDN, PADES, UFR.

Cette décision du pouvoir militaire semble être le résultat de l’évaluation des partis politiques effectuée par le ministère de l’administration territoriale et de la Décentralisation. 

Ceci dit, les partis dissous n’existent plus, ceux qui sont suspendus sont contraints d’arrêter leurs activités à compter de la date de signature de l’arrêté. Ils doivent se mettre en règle pour éviter la dissolution.

Quant aux grands partis politiques mis sous observation, ils peuvent continuer de fonctionner, mais disposent de trois mois pour se mettre en règle. Sans quoi, ils risquent d’être suspendus aussi. 

Réaction des partis politiques 

Les réactions des partis politiques ne se sont pas fait attendre et nombreux sont ceux qui dénoncent une évaluation plutôt politique du ministère de l’administration territoriale et de la Décentralisation organisée selon eux dans le seul but de parasiter les aspirations à la démocratie, au progrès et à la consolidation des droits de l’Homme et de l’Etat de droit, la liberté d’expression et d’opinion dans le pays. 

D’autres parlent d’ailleurs de manquements quant à la nature même de l’évaluation puisque beaucoup de leurs données envoyées au ministère de l’administration territoriale et de la Décentralisation n’ont pas été prises en compte.

Cependant certains partis politiques se disent être satisfaits tels que le PADES de Dr Ousmane Kaba se disent être satisfaits du résultat de l’évaluation du ministère de la Décentralisation et de l’administration du territoire de Ibrahima Kalil Condé. 

Le ministre Ibrahima Kalil Condé justifie son évaluation 

Le ministre de la Décentralisation et de l’administration du territoire le Général Ibrahima Kalil Condé a justifié ses décisions en ces termes:

  « L’évaluation des partis politiques s’insère dans le cadre plus large des réformes engagées en vue d’assainir l’échiquier politique, condition incontournable pour une participation politique responsable et constructive à la vie de la nation ». 

Et d’ajouter que  « Pour cette fin, cette présente évaluation, menée avec le souci constant de transparence et d’équité, vise à garantir que chaque formation politique se conforme pleinement aux dispositions de la Charte des partis politiques, tout en contribuant à la stabilité de l’Etat, à la cohésion sociale, à la paix et au renforcement de la culture démocratique ». 

Il précise aussi dans sa prise de position que  « Cet exercice républicain sera désormais un processus régulier qui va permettre à chaque parti politique d’être une association à but politique et non une entreprise personnelle où le leader est le patron qui recrute, qui paie et qui sanctionne en fonction de la tête du client ». 

Une évaluation nécessaire mais effectuée sur fond d’instrumentation politique 

En dépit de tout, force est de constater qu’il y a vraiment beaucoup de manquements liés au fonctionnement des partis politiques en Guinée. 

Car rares sont les formations politiques qui respectent la charte des partis politiques fondée sur la loi fondamentale de 1990 ayant permis la création des formations politiques à partir de 1992. 

La plupart des formations politiques ne respectent pas les termes de la loi organique portant charte des partis politiques. 

Le fonctionnement des partis politiques dont fait cas la fameuse évaluation ont toujours connu des dysfonctionnements encouragés par les différents régimes qui se sont succédés à la tête de l’État guinéen depuis 1990. 

Donc le fait que plusieurs partis politiques soient sans agrément, sans compte bancaire et manquent de transparence dans la gestion de leur finances et fonctionnent sur fond d’ethnisme politique ne sont pas de faits nouveaux. 

Mais les pouvoirs en place ont toujours laissé faire, parce que la consolidation des partis politiques va à l’encontre de leurs intérêts. 

Et les acteurs étatiques savent aussi que le manque de consolidation des partis politiques favorisant par exemple la naissance de partis politiques satellite ou ethniciste nuit au déroulement d’élections compétitives et rend difficile l’acceptation mutuelle et la consolidation démocratique, comme c’est le cas en Guinée actuellement. 

Ils optent tout de même pour un changement démocratique cosmétique à la place d’un véritable changement. C’est une façon pour eux d’empêcher que les partis politiques ne jouent leur véritable rôle dans l’organisation et la régulation des systèmes démocratiques modernes. 

Le rôle que les partis politiques jouent en Guinée 

Depuis l’avènement du multipartisme en Guinée, les partis créés ne se sont pas réellement engagés dans la compétition politique comme représentant d’intérêts sociaux. 

À travers leurs agissements on voit bien qu’ils se comportent plutôt comme porteurs « d’ambitions personnelles ou de coalitions d’intérêts privés plus ou moins sordides » visant à « être associés au partage du gâteau qu’implique la participation au pouvoir».

Les partis politiques, surtout ceux que l’on qualifie de 

« partis satellites » très nombreux en Guinée, c’est-à-dire sans aucune base électorale se comportent à chaque période de fragilité institutionnelle comme des fossoyeurs véritables de l’unité nationale et de la dynamique de construction et développement qu’ils doivent pourtant contribuer à consolider si l’on s’en tient à leurs rôles et à leurs utilités dans un système de démocratie multipartite.

Ces formations politiques partent pendant des périodes d’instabilités institutionnelles en rang dispersé, laissant la suspicion et la méfiance planer  plus que jamais sur eux. 

Or la division pendant une période d’instabilité institutionnelle des formations politiques compromet le pluralisme politique et le débat contradictoire. De surcroît, cette division est susceptible de compromettre dangereusement la transition politique en cours. 

Et nous faisons face à une telle situation actuellement, car la junte militaire guinéenne se sert depuis trois ans de ces partis politiques satellites pour effriter l’opposition. 

Mais pour des partis politiques «satellites» avec une improbable autonomisation et une faible taux de mobilisation qui ne misent que sur l’opportunisme politique, l’ethnicité, la politique du ventre pour exister, cette division pendant cette période d’instabilité institutionnelle est plus qu’une aubaine. 

Puisqu’ils ont été jusqu’à présent dans une logique où  avoir des relations avec le pouvoir militaire pour étouffer toute dynamique d’un véritable changement est plus important que tout. 

On constate aujourd’hui que ces partis partis  « satellites » à l’image de celui de l’actuel premier ministre Bah Oury, peuvent être ainsi implicitement ou explicitement définis comme entièrement soumis au contrôle de la junte militaire guinéenne qui a pour objectif comme l’avait laissé entendre l’ancien ministre de la décentralisation et de l’administration du territoire Mory Condé la suppression de toutes les organisations et partis politiques pouvant les concurrencer.

Donc l’actuel ministre de la Décentralisation et de l’administration du territoire Ibrahima Kalil Condé n’a pas l’intention d’assainir l’échiquier politique 

Il veut plutôt supprimer ceux qui peuvent les concurrencer dans leur projet de confiscation du pouvoir. 

La junte militaire guinéenne fait donc partie du problème 

On ne peut pas en tant que gouvernement de transition vouloir réorganiser les formations politiques, mettre fin à leur défaillance sans faire preuve d’exemplarité. 

Le régime militaire guinéen est le premier promoteur de l’ethnicité, de manque de transparence dans la gestion des finances publiques, bref de manque de rigueur et de pédagogie politique dans la gestion des affaires politiques, sociales et économiques du pays.

Elle est surtout aujourd’hui dans une logique de confiscation du pouvoir sur fond d’ethnicité et d’entraves au processus de démocratisation en Guinée. 

Elle encourage depuis trois ans les partis politiques« satellites » qui sont avec elle à se comporter comme s’ ils étaient prisonniers d’une réflexion orientée vers les seuls mécanismes de domination verticaux du régime. 

Ces « partis satellites » qui ont jusqu’ici joué le jeu, apparaissent donc comme des objets sans spécificité, au service d’un régime clanique, népotiste, autoritaire, ethniciste, factionnel. 

Or la prolifération de ce genre de partis politiques conduit immanquablement à concevoir les structures politiques comme totalement absorbées par le pouvoir et dépourvues de formes d’existence propres . 

Certes un héritage du régime autoritaire de feu président Ahmed Sékou Touré, mais qui arrange l’agenda du pouvoir militaire. 

Car dans ce genre de régime, les organisations intermédiaires y seraient inexistantes. La « société civile » ou encore les partis politiques doivent être détruits ou étouffés dans l’œuf. 

Avec l’approche de l’actuel ministre de la décentralisation et de l’administration du territoire Ibrahima Kalil Condé, on assiste à un retour de telles méthodes. 

Pour ce faire, il faut donc réduire le nombre de partis politiques, pour transformer ceux qui restent en des « formations alliées» qui doivent, assurer la pénétration de milieux sociaux, tels que celui de la commune urbaine de Conakry Ratoma dans lesquels la junte et ses alliés veulent s’implanter, principalement à des fins de mobilisation autour des objectifs politiques poursuivis par le régime actuel. 

Sauf que le contexte actuel est très compliqué. 

Et c’est pourquoi plus le désaccord avec les grands partis politiques s’accentue, plus la pénétration de ces milieux sociaux sera impossible pour le régime militaire guinéen et ses formations alliées. 

Tel fut d’ailleurs le cas au temps du régime au temps du régime déchu d’Alpha Condé. Ces milieux dans leur majorité sont restés hostiles à ce genre de pratiques.

Et la junte militaire guinéenne au pouvoir depuis le 05 septembre 2021 ne fera pas aussi exception à la règle, malgré les moyens financiers déployés pour pénétrer ces milieux sociaux tels que la commune urbaine de Conakry-Ratoma. 

Les pratiques dénoncées sont aussi l’œuvre de l’État

Une chose est sûre, la pratique politique dénoncée dans cette évaluation se justifie par la volonté des acteurs étatiques de torpiller le réel transformation de l’État guinéen. 

Mais aussi et surtout par la volonté de beaucoup de formations politiques, d’accéder à la « mangeoire » de la République, grâce aux différents postes à occuper au sein du gouvernement, des entreprises de l’Etat ou de la haute administration.

Il en est ainsi parce que l’État guinéen a toujours été néopatrimonialiste donc fondé sur le clientélisme, l’exclusion et la culture de la violence. 

Et dans un tel État, les partis politiques sont dirigés par des chefs qui semblent prédéterminés pour ce type d’arrangement particulier. 

Mieux dans un tel système, les partis politiques sont dépourvus d’idéologie ; ce sont des partis qui se regroupent autour de personnalités, des clans, des ethnies. 

Cela signifie que leur organisation est souvent dictatoriale : la volonté du président est encore trop prépondérante. 

On voit bien que la fameuse élite guinéenne se caractérise par la légèreté et l’opportunisme. 

Car les hommes et femmes politiques s’illustrent par le vagabondage politique en quittant deux ou trois partis politiques souvent idéologiquement opposés. 

Ils évoluent au gré des vagues, selon leurs intérêts inavoués.

Le fait qu’en Guinée, très peu de partis politiques font la distinction entre leur patrimoine et celui du leader et que la confusion entre les deux patrimoines est telle que les partis politiques sont souvent considérés comme la propriété du leader rend les déficiences plus solides. 

Alors, tant que ces déficiences persisteront, le pluralisme politique en Guinée sera sans résultat probant concernant la stabilité politique, économique ou le progrès social pour ne finalement aboutir qu’à des blocages sans fin du processus de démocratisation avec éventuellement des coups d’états militaires à répétition. 

En somme, ça ne sert à rien de faire de telles évaluations dans une société où le pouvoir met tout en œuvre pour que la démocratie soit remplacée par une illusion de la démocratie, avec de nouvelles formes d’organisation de pouvoir et des méthodes psychologiques de manipulation de la conscience du peuple. 

En faisant semblant de défendre l’intérêt d’un groupe ethnique, protégeant ainsi les puissants contre les risques de l’autonomisation démocratique tout en renforçant leur position. 

Aïssatou Chérif Baldé 

Un commentaire

  1. Franchement j’suis d’avis sur ces dissolution et suspension de certains partis politiques car avec une population de 7.000.000 d’électeurs qui regroupes plus de 100 partis politiques tandisque d’autres n’ont même pas de sièges et en plus forte raison regrouper 5000 à 10000 militants.

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