Soixante-six ans d’indépendance de la République de Guinée: quel bilan possible?

Le 2 octobre 1958, la République de Guinée, sous la direction de son leader charismatique, Ahmed Sékou Touré, a dit « Non » à la colonisation française, devenant ainsi le premier pays d’Afrique subsaharienne à obtenir son indépendance

Ce choix historique, en réponse au référendum proposé par la France, a marqué une rupture nette avec l’ancien empire colonial et a ouvert la voie à une nation souveraine. 

Mais aujourd’hui, après 66 ans de liberté, quel bilan pouvons-nous tirer ? 

Quels sont les acquis, les échecs, et surtout, quelles perspectives pour l’avenir de la Guinée ?l

Les défis initiaux d’une jeune République

Les premières années de l’indépendance guinéenne ont été marquées par un esprit de résistance et de fierté. Sékou Touré, avec sa politique panafricaniste et socialiste, s’est efforcé de construire un État fort, indépendant de toute influence occidentale. Cependant, cette politique de rupture a eu un coût élevé. La Guinée a été isolée, économiquement asphyxiée par le retrait de l’aide française, et confrontée à des défis majeurs en matière d’infrastructures, d’éducation et de santé.

Le régime de Sékou Touré, s’il a su cultiver la rupture avec la France et la fierté de l’indépendance, a également été marqué par une répression féroce des opposants. Des milliers de Guinéens ont été emprisonnés ou exécutés, et le tristement célèbre camp Boiro est devenu un symbole des dérives autoritaires du pouvoir. Cette période de terreur a laissé des blessures profondes dans le tissu social guinéen.

Une transition politique difficile

Après la mort de Sékou Touré en 1984, la Guinée a basculé sous le contrôle de l’armée, avec le général Lansana Conté à sa tête. Cette transition a suscité l’espoir d’une ouverture démocratique, mais elle a été vite rattrapée par les réalités du pouvoir. Conté a gouverné pendant plus de deux décennies, durant lesquelles la Guinée a connu une stabilité relative mais aussi une stagnation économique.

Sous Conté, la corruption s’est enracinée, le système éducatif et sanitaire s’est détérioré, et les infrastructures de base n’ont guère été modernisées. Les vastes ressources minières du pays, notamment la bauxite, n’ont pas permis de sortir la majorité de la population de la pauvreté. Pourtant, la Guinée dispose de l’une des plus grandes réserves de bauxite au monde, mais cette richesse semble n’avoir profité qu’à une élite restreinte.

Les espoirs déçus de la démocratisation

Après la mort de Conté en 2008, la Guinée a traversé une nouvelle période de turbulences, marquée par une transition militaire brutale sous la direction de Moussa Dadis Camara et de Sékouba Konaté. Cette transition a culminé avec le massacre du 28 septembre 2009, où des centaines de manifestants pacifiques ont été tués dans le stade de Conakry, un événement qui a profondément marqué la mémoire collective du pays.

Ce n’est qu’en 2010 que la Guinée a connu sa première élection démocratique, marquée par l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé. Cependant, les espoirs nés de cette démocratisation ont rapidement été déçus par des accusations de fraude électorale, la persistance de la corruption et la centralisation du pouvoir. La réélection controversée d’Alpha Condé en 2015, suivie d’un troisième mandat anticonstitutionnel, puis de son renversement par un coup d’État militaire dirigé par le général Mamady Doumbouya en 2021, a replongé la Guinée dans l’incertitude.

Bilan économique et social:un potentiel inexploité

66 ans après son indépendance, la Guinée demeure un paradoxe. C’est un pays immensément riche en ressources naturelles, mais où la pauvreté demeure omniprésente. Le secteur minier, en particulier la bauxite et l’or, constitue la principale source de revenus pour le pays. Cependant, ces richesses n’ont pas été correctement redistribuées. Les infrastructures sont toujours inadéquates, l’électricité reste un luxe pour beaucoup, et les services de base comme la santé et l’éducation sont sous-financés et de mauvaise qualité.

Sur le plan agricole, bien que la Guinée dispose d’un sol fertile et d’un climat favorable, le secteur reste sous-développé. La Guinée importe encore une grande partie de ses denrées alimentaires, alors qu’elle aurait le potentiel de nourrir sa propre population et d’exporter. Le manque d’investissements, la mauvaise gouvernance et l’instabilité politique ont contribué à freiner le développement d’une économie diversifiée.

Le poids des divisions ethniques et politiques

La Guinée est également confrontée à des divisions ethniques qui se reflètent dans le jeu politique. La manipulation des identités ethniques par les élites politiques a souvent exacerbé les tensions entre les différentes communautés, notamment les Peuls, les Malinkés et les Soussous. Cette fracture ethnique entrave la cohésion nationale et alimente un climat de méfiance et d’instabilité.

Perspectives pour l’avenir

Alors, quel bilan tirons-nous après 66 ans d’indépendance? 

Il serait injuste de dire que la Guinée n’a rien accompli. L’indépendance, bien que difficile à gérer, a permis à la nation de se forger une identité et de conserver une certaine stabilité malgré les nombreuses crises. 

Cependant, il est indéniable que beaucoup de potentiel a été gaspillé. 

La Guinée pourrait être un leader économique en Afrique de l’Ouest, mais elle reste embourbée dans la pauvreté, l’instabilité et la mauvaise gouvernance.

Pour que les prochaines décennies soient synonymes de progrès, il est impératif que la Guinée investisse dans l’éducation, les infrastructures, et surtout dans la bonne gouvernance. 

La jeunesse, qui représente une large part de la population, doit être au cœur de cette transformation. Une réconciliation nationale, fondée sur la justice et l’inclusion, est également essentielle pour surmonter les divisions ethniques et politiques.

L’indépendance a été acquise, mais la véritable libération économique et sociale reste un combat inachevé. 

La Guinée a tout pour réussir, mais la voie vers la prospérité exigera des réformes courageuses, une volonté politique ferme, et surtout, un engagement sincère envers les aspirations du peuple guinéen. 

À l’aube de ses 66 ans d’indépendance, il est temps de transformer les promesses en réalité.

Cheick Boubacar BAH, consultant en communication politique et publique

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