Les ongles du mal d’une Guinée qui s’enterre.

Enivrés par l’éclat des privilèges, ceux qui prétendent gouverner notre société se laissent envoûter par le voile trompeur de la corruption. 

Aveuglés par l’illusion de leur propre grandeur, ils ne peuvent plus se percevoir eux-mêmes, ni voir la douleur criante de l’Afrique, et plus précisément celle de la Guinée. 

Ces figures, que l’on devrait en toute logique considérer comme des gardiens de la nation, se vautrent dans des excès insensés, à tel point que l’on pourrait croire qu’ils ont troqué leur humanité contre une voracité bestiale. Ils boivent comme des déments, se gorgent avec l’avidité des insatiables, et se dévouent corps et âme à des festins décadents, comme si l’avenir de la nation ne leur importait plus.

La Guinée d’aujourd’hui est le reflet d’une société qui a perdu son âme. Une terre autrefois bénie par ses ressources naturelles et ses potentialités humaines, aujourd’hui trahie par ses propres enfants, ceux-là mêmes qui devraient porter haut son flambeau. 

À chaque coin de rue, dans chaque institution, on retrouve les stigmates d’une corruption systémique qui a englouti le pays tout entier. Le mensonge est devenu une langue nationale, la duplicité une vertu, et la trahison un rite de passage.

Dans cette ambiance délétère, les véritables intellectuels se font rares, presque invisibles. La société est inondée de diplômés, fiers de leurs parchemins obtenus dans des universités à la réputation souvent usurpée, mais qui n’ont ni la vision ni le courage de questionner l’ordre établi. Ces diplômés, nombreux et souvent bruyants, manquent de la profondeur d’esprit nécessaire pour comprendre que leur savoir n’est rien d’autre qu’une coquille vide, dénuée de substance et d’engagement. Ils ont appris à parler, à écrire, à déclamer des discours pompeux, mais ils n’ont jamais été éduqués à penser par eux-mêmes, à remettre en question la tyrannie du conformisme, ou à servir leur patrie avec une loyauté désintéressée.

Les patriotes, eux, sont une espèce en voie de disparition. Leurs voix, étouffées par le tumulte des ambitions personnelles et des intérêts mesquins, peinent à se faire entendre dans un océan de compromis et de compromissions. Ceux qui osent encore se battre pour le bien de la Guinée, pour l’honneur de l’Afrique, sont réduits au silence, marginalisés par une élite qui n’a que faire de l’avenir du pays.

Cette élite, véritable conglomérat d’anti-patriotes, œuvre sans relâche contre le bonheur de la nation, plaçant leurs propres intérêts au-dessus de ceux du peuple qu’ils sont censés servir.

Le paradoxe est effarant : alors que le nombre de diplômés ne cesse d’augmenter, le véritable savoir, celui qui conduit à une prise de conscience nationale, s’amenuise. La Guinée, en dépit de sa jeunesse instruite, s’enfonce dans un marasme intellectuel et moral, où la médiocrité est érigée en norme et où la servilité tient lieu de vertu. Les rares esprits éclairés qui subsistent sont contraints à l’exil intérieur, désertant les institutions gangrenées par la corruption et l’incompétence.

Ainsi, les festins continuent, alimentés par une machine sociale bien huilée, où la cécité collective s’entretient et se reproduit. 

Pendant ce temps, la Guinée, tel un navire sans capitaine, dérive au gré des courants, portée par des vents de désespoir et de résignation. Le véritable drame n’est pas tant l’absence de patriotes, mais la prolifération de ceux qui, par leur inaction ou leur complicité, contribuent à l’anéantissement d’une nation autrefois pleine de promesses.

Les maux de la Guinée sont nombreux, et ils sont les fruits amers d’une longue histoire de trahisons et de désillusions. L’éducation, autrefois porteuse d’espoir pour les jeunes générations, est aujourd’hui réduite à un simulacre de savoir. 

Les écoles sont des ruines où l’on n’apprend plus à penser, mais à réciter. Les universités, temples de la connaissance, sont devenues des champs de bataille pour des factions rivales, où les diplômes sont échangés contre des faveurs, et où l’intelligence est sacrifiée sur l’autel de la médiocrité.

La justice, qui devrait être le dernier rempart contre l’arbitraire, est devenue l’instrument docile des puissants. Les tribunaux sont des théâtres où l’on joue des drames grotesques, où les juges, eux-mêmes corrompus, prononcent des sentences dictées par ceux qui tirent les ficelles en coulisses. Les lois, qui devraient être les garantes de l’équité, sont tordues et pliées pour servir les intérêts des plus forts. La Guinée n’est plus un État de droit, mais un État de privilèges, où l’injustice est la règle et où l’oppression est la norme.

Les institutions sont gangrenées par l’incompétence et la corruption. Les fonctionnaires, censés être au service du peuple, sont devenus des parasites qui se nourrissent du sang de la nation. Ils sont plus préoccupés par l’accumulation de richesses personnelles que par le bien-être de la population. Les bureaux de l’administration publique sont des lieux où règnent la paresse et le népotisme, où les décisions sont prises en fonction des affiliations tribales et des liens familiaux, et non sur la base du mérite ou de l’intérêt général.

Le système de santé est en lambeaux. Les hôpitaux, autrefois lieux de guérison, sont devenus des mouroirs où les malades sont abandonnés à leur sort. Les médecins, sous-payés et démoralisés, quittent le pays en masse, laissant derrière eux une population vulnérable, privée des soins les plus élémentaires. La corruption a pénétré jusque dans les pharmacies, où les médicaments sont trafiqués, et où les malades doivent payer des pots-de-vin pour obtenir les traitements dont ils ont besoin pour survivre.

La situation économique est tout aussi désastreuse. La Guinée, pourtant riche en ressources naturelles, est plongée dans une pauvreté abjecte. Les richesses du sous-sol sont pillées par des multinationales étrangères, avec la complicité des élites locales, tandis que la population ne récolte que des miettes. Les infrastructures sont défaillantes, les routes sont impraticables, les réseaux électriques sont vétustes et le chômage est endémique. Les jeunes, désespérés, fuient le pays par milliers, prêts à tout pour échapper à la misère, même au péril de leur vie.

La société guinéenne est divisée. Les fractures ethniques et régionales, savamment entretenues par les politiciens en quête de pouvoir, menacent l’unité du pays. Le tissu social, autrefois solide, se déchire sous le poids des tensions et des ressentiments. Les quartiers sont ghettoïsés, les communautés se replient sur elles-mêmes, et la méfiance règne entre les différentes composantes de la nation. Le dialogue est devenu impossible, et la violence, autrefois l’exception, est en train de devenir la règle.

Les médias, qui devraient être les gardiens de la vérité, sont asservis aux intérêts des puissants. Les journalistes, quand ils ne sont pas corrompus, sont intimidés, censurés ou réduits au silence. 

La liberté d’expression, autrefois chérie, est aujourd’hui étouffée par la peur. Les citoyens, conscients du danger, n’osent plus parler ouvertement. Ils se murent dans le silence, redoutant les représailles, et se réfugient dans une apathie complice.

Face à ce tableau sombre, il serait facile de désespérer, de croire que la Guinée est condamnée à l’échec, qu’elle est irrémédiablement enfoncée dans les sables mouvants de la corruption, de l’injustice et de la misère. Pourtant, malgré ces maux apparents, il subsiste au cœur de ce chaos une lueur d’espoir, une résistance souterraine, invisible mais tenace, de ceux qui, à leur manière, refusent de se résigner.

Il y a, parmi les jeunes, des esprits éveillés, prêts à se battre pour un avenir meilleur. Il y a, parmi les intellectuels, des penseurs qui, malgré les obstacles, continuent de rêver d’une Guinée libre, juste et prospère. Il y a, parmi les patriotes, des hommes et des femmes qui, contre vents et marées, persistent à croire en la possibilité d’une renaissance nationale.

Mais pour que cet espoir se concrétise, il faut que chacun prenne conscience de sa responsabilité. Il faut que les Guinéens, dans leur ensemble, réalisent que l’avenir du pays dépend de leur volonté de changer les choses. Il faut qu’ils se lèvent, qu’ils s’unissent, qu’ils rejettent la corruption, l’injustice et la médiocrité, et qu’ils travaillent ensemble pour bâtir un État de droit, une société où l’éducation, la justice et la santé ne sont pas des privilèges réservés à une élite corrompue, mais des droits fondamentaux accessibles à tous. Il faut que les citoyens guinéens, portés par une conscience collective renouvelée, s’approprient leur destin et exigent des comptes à ceux qui gouvernent en leur nom. Ils doivent refuser de se laisser manipuler par des promesses creuses et des discours trompeurs, et réclamer une véritable transparence dans la gestion des affaires publiques.

La renaissance de la Guinée ne pourra se faire sans un sursaut moral et intellectuel. Il est temps que les voix de la raison et du patriotisme se fassent entendre, que les intellectuels et les patriotes s’allient pour contrer la marche funeste vers l’abîme. Il est temps de mettre fin au règne des médiocres et des corrompus, de restaurer la dignité nationale, et de bâtir un futur où chaque Guinéen, peu importe son origine ou son statut, puisse vivre dans la paix, la justice et la prospérité.

Seul un engagement profond et désintéressé pour le bien commun permettra de redresser ce pays meurtri. La Guinée mérite mieux que d’être le jouet des ambitions personnelles et des appétits insatiables. Elle mérite de retrouver son éclat, de reprendre sa place parmi les nations qui, malgré les défis, sont parvenues à se libérer des chaînes de l’oppression, de l’injustice et de la corruption. Que chaque Guinéen se souvienne que l’avenir de la nation dépend de sa volonté de se lever pour la défendre, et que la lumière ne jaillira qu’après avoir traversé les ténèbres.

Abdoulaye Bademba Diallo

Juriste publiciste, écrivain essayiste. 

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