Le pluralisme socioculturel ne devrait pas être incompatible avec la démocratie, comme idée et mode de régulation politique en Guinée.
De l’ indépendance à nos jours, ce qui, sous d’autres cieux, constitue une richesse de l’espace sociopolitique, est devenu dans le pays de Mamadi Doumbouya , le « nœud gordien» du marigot politique guinéen.
Et pour cause, le débat politique est réduit à l’instrumentalisation ou à la manipulation des différences ethniques à des fins strictement électoralistes et ultimement pour accéder ou se maintenir au pouvoir.
Certes, c’est un euphémisme de dire que les acteurs politiques guinéens, tout bord confondu, procèdent à la substitution de l’intérêt communautaire à l’intérêt national, au favoritisme, ou népotisme et au clientélisme.
Ce qui intrigue est le fait que les questions essentiellement liées au développement du pays, à la réduction des inégalités sociales, tout comme celles relatives à la sauvegarde des acquis démocratiques, sont reléguées au dernier plan au profit des idéologies ethnicistes.
Et pourtant aucune démocratie ne peut fonctionner dans une société ethniciste, aucune vision d’ensemble des choses, aucune politique sérieuse ne peut être entreprise, avec succès dans un tel contexte.
Quels sont les facteurs favorisants l’ethnicité ?
Nous avons tenté de se pencher sur deux facteurs capables de favoriser la pérennisation de ce phénomène qui est avant tout un héritage colonial.
1- Premièrement, le facteur lié à la dimension institutionnelle du pouvoir
Le facteur favorisant cet héritage colonial qui est l’ethnicité, est la déconstruction de la dimension institutionnelle du pouvoir politique par des acteurs politiques eux-mêmes en usant de la culture du mythe du chef dans la société guinéenne.
L’effigie de l’actuel chef de la junte Mamadi Doumbouya que l’on aperçoit partout dans la capitale Conakry est un exemple illustratif du mythe du chef dans la société guinéenne.
Une tradition aux conséquences graves qui puise sa source du temps du PDG-RDA.
Car elle donne à la notion du pouvoir politique un caractère patrimonial.
Dès lors, aussi bien ceux qui gouvernent que ceux qui aspirent à gouverner, se comportent comme si le pouvoir était leur propriété personnelle, un élément de leur patrimoine qu’ils pourraient transmettre à leurs héritiers.
Et ces comportements commencent d’abord au sein de leurs partis politiques respectifs et se poursuivent une fois au pouvoir.
C’est pour toutes ces raisons, qu’ il n’est pas surprenant de constater que les constitutions conçues depuis 1990 ont toujours été du « taillé sur mesure » en Guinée, c’est-à-dire en faveur d’un chef inamovible.
Une façon donc d’assurer la pérennité d’un régime, enterrant ainsi, définitivement, toute possibilité d’alternance démocratique en Guinée.
2-Deuxièmement, la plaisanterie démocratique
Il y a aussi cet autre facteur dû à la vaste plaisanterie démocratique orchestrée par la classe politique guinéenne, avec comme tendance majeure la prolifération des partis politiques inutiles.
En Guinée les hommes politiques et les partis politiques poussent comme des champignons, chacun veut faire de la politique, même s’ils n’ont ni la capacité, ni les compétences, ni les valeurs et vertus morales pour occuper les services publics.
Mais ils s’y engagent quand même, puisque l’État guinéen est le seul endroit où l’on peut devenir riche sans fournir des efforts.
On peut à juste titre citer l’exemple des jeunes qui gravitent autour du pouvoir militaire guinéen. Ils sont nombreux et sont pour la plupart des ade du code de conduite politique pour les nuls.
Le phénomène est souvent couplé avec celui d’un réel vagabondage politique dont les coupables se retrouvent acteurs au sein de plusieurs partis politiques qu’ils créent suite à des désaccords avec leurs anciens collaborateurs.
Un phénomène qui infeste le paysage politique guinéen
Ce phénomène a tellement infesté le paysage politique guinéen ces dernières années qu’on a souvent l’impression que mouvance et opposition sont deux faces de la même médaille en Guinée.
Et ceci prouve que le système multipartite facilitant la création des partis politiques est mal ficelé en Guinée et favorise immanquablement la discorde sociale dans ce pays avec la naissance de nombre élevé de partis politiques et des candidats qui semblent confondre les élections présidentielles aux élections de quartiers de Conakry.
Pourtant, une telle situation exhorte assurément une politique qui ne se fait que dans le contexte régionaliste, ethnocentrique et clientéliste et encourage la comédie démocratique et la polarisation des divisions ethniques.
Les partis politiques tardent à jouer leur rôle
Les partis politiques tardent à être des organisations véhiculant des idéologies, où on parle de projets de sociétés, de projets de développement de la société guinéenne, un endroit où l’on parle de l’édification d’une société démocratique, caractérisée par une culture politique élevée qui demeure un travail quotidien et incessant.
Il sont passés plutôt maîtres dans l’organisation de véritables calembours déguisés en alliances politiques.
Celles-ci se font et se défont au gré des enjeux électoraux, juste avant leur précipitation mécanique dans une dislocation plus ou moins parfaite.
Et les grands partis de l’opposition sont victimes constantes des manipulations du pouvoir visant la scission au sein de leur formation politique.
Comment lutter contre ce phénomène de blocage de la transition politique ?
Pour lutter contre ces phénomènes de blocage de la consolidation de la démocratie; notamment l’ethnisme politique, la comédie démocratique.
Il est impératif de réinstaurer le caractère institutionnel du pouvoir politique, à commencer par les partis politiques d’abord, afin d’amener les dirigeants à se conformer aux textes préétablis, et ne pas être tenté de les modifier à leurs ambitions politiques personnelles.
Et il faut surtout les amener enfin à reconnaître qu’ils ne sont que des représentants de la nation et non les propriétaires de la souveraineté.
En somme, pour éradiquer l’instrumentalisation des questions ethniques pour accéder au pouvoir, il faudrait mettre impérativement en place des systèmes qui reconnecteront les partis politiques avec leur mission primaire: « Celle de constituer des vecteurs d’idéologies axées sur la résolution de problèmes de développement dans un monde bloqué par la complexité d’idéaux socio-politiques et économiques. »
La junte ne peut pas être la solution à ce problème
La junte militaire étant animée par l’idée d’imposer au peuple de Guinée un pouvoir agressif fondé sur le néopatrimonialisme et le nationalisme ethnique ne peut en aucun cas jouer ce rôle.
Elle apporte à chaque solution, un problème. L’histoire continue de se répéter.
Le nouveau chef de la junte Mamadi Doumbouya, utilise depuis trois ans artifices et magouilles pour pouvoir s’arc-bouter sous les oripeaux d’une légitimité forcée et adaptée à sa posture.
En gros les grands traits de la physionomie de l’Etat guinéen après le coup d’État militaire du 05 septembre 2021 ne changent pas.
La Guinée reste aussi avec Mamady un pays à équations multiples qui n’a jusqu’ici pratiqué qu’une démocratie de l’imposture, celle qui défigure le sens des mots et qui installe les maux de toute nature : ➖Injustice constitutionnelle, ➖déni de justice constitutionnelle, ➖contentieux sans juge impartial et indépendant, ➖accaparement des biens publics, népotisme,➖ détournement de pouvoir et de fonction, transhumance politique, compromissions.
Et cette litanie est simplement indicative.
C’est la déliquescence de l’Etat qui constitue la marque de fabrique et le signe distinctif de la situation qui a jusque-là prévalu en Guinée.
Et pourtant le temps ne saurait attendre cette Guinée.
Aissatou Chérif Baldé.
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