La Guinée, jeune nation indépendante, est porteuse d’une histoire riche en luttes politiques, en bouleversements socio-économiques, et en soubresauts diplomatiques.
À travers les récits passionnants de mon grand-père, Elhadj Boubacar Biro Diallo, premier président de l’Assemblée nationale de la Guinée démocratique, une figure éminente de la lutte pour l’indépendance, j’ai pu comprendre des dimensions cachées et cruciales de cette histoire.
Né en 1922, il a été témoin et acteur des moments les plus déterminants de la trajectoire de ce pays.
C’est dans ses paroles, riches de sagesse et d’expérience, que réside une leçon précieuse sur l’évolution de la Guinée depuis 1956 jusqu’aux avancées d’années du XXIe siècle.
Il se rappelle avec une précision étonnante ses années d’engagement , notamment lors des négociations à Versailles en 1956, prélude à l’indépendance de la Guinée en 1958.
Il avait alors côtoyé les délégations ghanéennes en route depuis Londres, renforçant les liens entre les mouvements panafricains.
Cette période, marquée par l’effervescence politique, l’a profondément influencé: « Nous étions animés par une soif inextinguible de liberté, mais aussi par le désir de construire une nation juste et équitable », me disait-il aujourd’hui.
Dès cette époque, il observait déjà les germes des divisions ethnocentriques qui, selon lui, affaibliraient plus tard le pays.
Cette fracture, persistante dans la Guinée moderne, est devenue un poison pour l’unité nationale, hérité de la colonisation, enraciné par Sékou Touré, exploité par Lansana Conté, élargi par Alpha condé.
En 1990, alors que l’Afrique s’ouvrait au vent de la démocratisation, mon grand-père jouait un rôle déterminant dans l’écriture de la nouvelle Constitution guinéenne des années 90, sous le régime de Lansana Conté. Il n’était pas seul dans cette tâche : deux conseillers étrangers et des cadres guinéens l’assistaient dans la rédaction du texte constitutionnel.
La promesse du président Conté de respecter cette Constitution fut pour lui une assurance essentielle, et c’est avec cette conviction qu’il se lança dans la vie démocratique de la Guinée, d’abord en tant qu’acteur.
Au cours de nos discussions, j’ai eu l’occasion de l’interroger sur l’élection présidentielle de 1993, la première véritablement démocratique de l’histoire du pays. Conté, bien que sorti victorieux avec 51,7 % des voix, devait sa victoire à un processus électoral entaché de fraudes par endroit.
Alpha Condé, candidat malheureux, contestait vivement les résultats, notamment dans la préfecture de Siguiri, où les électeurs avaient voté publiquement sur des nattes, en violation totale des normes constitutionnelles.
Mon grand-père m’a confié que cette élection fut le fruit de l’excès de confiance des partisans de Condé, qui avaient prêté le flanc à une contestation en raison de leur propre négligence. Cet événement fut l’un des tournants de la vie politique guinéenne, jetant les bases d’une longue rivalité politique.
En tant que Président de l’Assemblée nationale, il a toujours exercé ses fonctions avec une impartialité exemplaire, tenant à cœur son rôle de régulateur de la vie parlementaire. Il m’a raconté, non sans une certaine fierté, comment il avait contribué à la libération d’Alpha Condé, emprisonné pour des accusations politiques.
Lors d’un voyage à Paris, il avait plaidé la cause de ce dernier auprès du président français, une démarche discrète mais efficace, qui témoigne de son profond sens de l’humanité et de sa volonté de justice, chose confirmée par Alpha Condé en 2015 à MAMOU lors de la fête d’indépendance.
Cependant, ce sont les élections présidentielles de 1998 qui provoquèrent un véritable schisme entre lui et le président Conté. Ba Mamadou, candidat de l’opposition, avait en réalité remporté l’élection, mais Conté refusait d’accepter la défaite.
La tension était palpable, et mon grand-père, fidèle à ses principes démocratiques, s’était farouchement opposé à la falsification des résultats.
Cette confrontation aboutit à une dispute qui scella définitivement la fin de leur amitié politique. Conté était prêt à tout pour se maintenir au pouvoir, y compris à sacrifier les idéaux démocratiques.
L’une des discussions la plus poignante que nous ayons eue concerne sans doute le référendum constitutionnel de 2001. Ce processus, qui visait à prolonger le mandat présidentiel et à supprimer la limitation des mandats, qu’il a vivement contesté. Il m’a raconté comment il avait tenté, en vain, de dissuader Lansana Conté de s’engager dans cette voie.
L’adoption de cette nouvelle Constitution fut un acte qu’il qualifia de « trahison démocratique ». Il avait même exhorté Cellou Dalein Diallo, alors proche collaborateur de Conté, à raisonner le président et de ne pas jouer sur cette table. Leur différend politique s’amplifia, et mon grand-père se retrouva peu à peu marginalisé au sein du Parti de l’unité et du progrès (PUP), parti qu’il avait pourtant fondé. Il a d’ailleurs dit à Conté, « dans cette démocratie, nous avons monté ensemble au pouvoir, à force de me marginaliser à cause de ma franchise, nous allons descendre ensemble, je pars à kourou (mamou) tu pars chez toi à Dubreka ».
L’année 2007 fut marquée par des troubles majeurs en Guinée, et il resta toujours attentif aux évolutions du pays, pressentait les drames à venir.
Depuis l’Asie où il se trouvait alors, il m’a confié avoir conseillé au président Conté d’organiser des élections présidentielles rapidement et de ne pas se porter candidat.
Mais, fidèle à ses habitudes autocratiques, Conté préféra décréter la loi martiale en février 2007 pour mater les contestations populaires, plutôt que de céder à une transition démocratique.
À travers ces récits, une chose apparaît clairement : Elhadj Boubacar Biro était et est encore un homme de parole et de conviction, profondément attaché aux valeurs et au respect de la loi. Malgré ses nombreuses divergences avec les dirigeants qu’il a côtoyés, il est toujours resté fidèle à ses principes.
Cette leçon, tirée de nos discussions, révèle la complexité de l’histoire guinéenne, mais aussi la richesse d’un parcours personnel, celui d’un homme qui a toujours œuvré pour le bien de son pays, même au prix de son propre isolement politique.
Enfin il m’a dit en Poulard que je préfère traduire ainsi « un homme patriote, engagé et intègre, est celui qui consacre sa vie au service de sa nation, avec un sens aigu de l’honneur et une inébranlable fidélité à ses valeurs. » Elhadj Boubacar Biro Diallo
Ainsi, l’histoire de la Guinée est une longue marche vers une démocratie encore en construction, un chemin semé d’obstacles, mais porteur d’espoir, incarné par des hommes comme Elhadj Boubacar Biro Diallo.
La question que je me pose est celle de savoir: pourquoi les historiens de plume n’ont pas le courage d’écrire la vraie histoire de la Guinée ?
Abdoulaye Bademba Diallo