Edito/Pourquoi les pays francophones d’Afriques peinent à instaurer une transition démocratique consolidée et irréversible? 

Les pays d’Afrique francophone évoluant depuis un certain temps entre coups d’Etat militaires à répétition, putschs constitutionnels, l’émiettement des partis politiques avec des pouvoirs rigides à la solde des puissances néocolonialistes suivis d’emprisonnement des opposants politiques tels que Ousmane Sonko au Sénégal, dissolution de partis politiques sans motifs valables prouvent à quel point le processus de démocratisation dans ces pays est compromis. 

Le processus de démocratisation  enclenché en Afrique francophone au début des années 1990 avait pourtant suscité beaucoup d’espoir.

Cette ouverture démocratique entamée à l’époque par des pays ayant évolué dans le système du parti unique avec des coups d’Etat militaires à répétition pour la plupart, a été possible grâce à plusieurs facteurs. 

On peut citer les facteurs externes et internes qui ont rendu cette transformation des systèmes politiques dans cette zone possible. 

1-Facteurs externes

On peut citer parmi ceux-ci la dislocation de l’Union Soviétique, la chute du mur de Berlin suivie de la fin de la Guerre froide entre le bloc soviétique et le bloc occidentale. 

2-Facteurs endogènes

Parlant des facteurs internes ou endogènes. on peut citer aussi la dévaluation de la monnaie coloniale FCFA au début des années 90, l’austérité imposée par les institutions de Bretton Woods (FMI, Banque mondiale) avec son lot d’effets dévastateurs sur les économies fragiles africaines des années 90; la privatisation sauvage des entreprises étatiques, la réduction du nombre de fonctionnaires, la compression sur les salaires etc…. 

Ces bouleversements qui étaient plus ou moins prévisibles ont rendu le processus de démocratisation dans les pays francophones d’Afrique irréversible. 

Sauf que plus de trente ans après les espoirs de démocratisation suscités par ce vent de changement sont devenus des désenchantements pour les peuples africains assoiffés de liberté pourtant. 

Force est de constater aujourd’hui que l’espoir né à l’époque chez les peuples africains et l’euphorie qui s’en est suivie se sont vite estompés par la faute d’une classe politique qui a opté pour le torpillage du processus de démocratisation, tout en restant sous contrôle de l’ancienne puissance coloniale qui est la France. 

Le processus de démocratisation,  tant salué comme une transition irréversible vers la démocratie en Afrique francophone, a depuis longtemps laissé place à des élections taillées sur mesure, à des putschs constitutionnels suivis d’un habillage référendaire, à des guerres civiles, à des coups d’Etat militaires, ou encore au djihadisme et terrorisme.

Des dysfonctionnements qui  favorisent aussi le blocage du processus de démocratisation en donnant naissance à de différents types de démocratie bloqués 

Naissance de démocratie de façade:

Dans de nombreux pays africains francophones, derrière l’apparence d’institutions démocratiques formelles, on peut observer d’anciennes ou de nouvelles pratiques autocratiques de gouvernance. 

L’emprisonnement hier dimanche 30 juillet 2023 de l’opposant politique Ousmane Sonko, suivi aujourd’hui de la dissolution de son parti politique illustre le caractère autocratique du pouvoir du président sénégalais Macky Sall. 

Des termes tels que « démocratie défaillante », « démocratie autocratique » et « démocratie bloquée » sont des terminologies utilisées par les politologues pour décrire ces nouveaux régimes et le caractère incomplet du développement démocratique en Afrique francophone notamment.

En observant l’évolution du processus démocratique en Afrique francophone, l’on se rend compte qu’il existe un décalage flagrant entre les exigences démocratiques formelles existant sur le papier (droits fondamentaux, élections, pluralisme, séparation des pouvoirs) et la réalité qui trahit souvent des dysfonctionnements politiques. Or, définir la démocratie en s’appuyant uniquement sur les élections et les institutions démocratiques ne saurait suffire. 

Et pourtant telle est l’interprétation et la compréhension de la démocratie par la plupart de ces chefs d’Etat africains tels que Macky Sall, Alhassane Ouattara,  Faure Eyadema, Ali Bongo, Denis Sassou N’Guesso, Idriss Mahamat Deby, Paul Biya. 

Et ce sont surtout des marionnettes et subalternes de la France et de l’Occident qui ont décidé de faire de l’enracinement de la démocratie en Afrique francophone une lettre morte. 

Ce faisant, des objectifs tels que: 

  •  le renforcement de la participation politique et l’engagement sociopolitique des citoyens, par exemple dans le cadre de programmes de formation au profit des jeunes dirigeants et travailleurs, 
  • Conduire un dialogue ouvert avec les partis politiques sur la démocratie interne des partis, les valeurs fondamentales et les relations des partis politiques et de la société, 
  • Préconiser un modèle de développement démocratique socialement équilibré dans le cadre de la concurrence entre les modèles de développement autoritaires et participatifs au sein des pays francophones d’Afriques etc… n’ont  jamais été partie intégrante du projet de ces dirigeants aux attitudes despotiques. 

Ils sont plutôt doués lorsqu’il s’agit de réviser ou tripatouiller une constitution pour lui ôter sa sacralité, la transformer en une norme ordinaire qui n’a pas la même transcendance, afin de s’éterniser au pouvoir. 

Le tripatouillage constitutionnel comme moyen de garder le pouvoir

Les dirigeants des anciennes colonies françaises ont fait le choix d’inventer la démocratie avec des manipulations constitutionnelles, afin de créer un modèle qui se veut démocratique aux yeux de la communauté internationale.

Alors qu’il reste fondamentalement familialiste, clanique et tribal-ethnique, donc une alternance articulée autour d’un modèle héréditaire et comme c’est le cas d’ailleurs dans la plupart des pays francophones d’Afriques et dans le seul but de conserver le pouvoir. 

Or “la démocratie libérale dans son sens propre se définit comme étant une idéologie du respect de la personne humaine, d’abord dans ses droits et ses choix fondamentaux, puis récemment dans sa dignité”. 

Donc elle ne doit pas être utilisée pour permettre à un clan, une famille, une ethnie, une structure mafieuse de conserver le pouvoir, comme c’est le cas au Sénégal, au Togo, au Gabon, en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Mali, au Burkina, au Cameroun, au Congo. 

Mais pour ces opposants à la démocratie dans cette partie du continent à l’image du président sénégalais Macky Sall, Alassane Ouattara, Paul Biya, Sassou N’Guesso, Faure Eyadema, Mahamat Idriss Déby, Macky Sall,  la “Démocratie ” doit revêtir un autre sens ou connaître un autre développement dans cette partie de l’Afrique. Son utilisation  ne sert qu’à l’exercice et la conservation du pouvoir, au renouvellement d’une classe politique aux ordres. 

La démocratie est une idéologie dégradée pour elle. 

Ils s’activent à faire de la démocratie une idéologie dégradée, instrumentalisée, devant permettre la conservation des positions dominantes acquises, dans un contexte nouveau, marqué par la dénaturation des pressions internationales en faveur de l’ouverture démocratique. 

Revêtu sur commande à l’intention du reste du monde, le nouvel habit d’apparat du « démocrate » suffit bien souvent à s’attirer la sympathie des soutiens intérieurs et surtout extérieurs, ainsi que les faveurs des puissances de l’argent (institutions de Bretton Woods et autres divers clubs), des puissances impérialistes (la France) les institutions onusiennes ou encore la Cour pénale internationale. 

Le double langage de la France freine le processus de démocratisation en Afrique francophone 

La France fidèle à son rôle d’État néocolonialiste s’empresse de condamner le coup d’État au Mali, au Niger mais refuse de condamner le coup d’État militaire au Tchad et en Guinée. Et tout comme tles putschs constitutionnels en Côte d’Ivoire, au Togo, au Bénin, au Congo-Brazzaville, au Gabon, au Cameroun. 

De toute évidence, la France et toutes les puissances néocolonialistes savent s’indigner des coups d’État militaires que lorsque ses intérêts sont menacés.  

Dans de pareils cas, Paris perd facilement sa langue sur les dérives dictatoriales de ses préfet-sidents à l’image de ce qui se passe actuellement au Sénégal, au Tchad, en Guinée ou encore en Côte d’Ivoire. 

En tout cas, l’Elysée et le Quai d’Orsay restent muets comme une carpe.  

Les enjeux de la falsification du pluralisme 

À l’évidence, pour saisir les enjeux de cette falsification du pluralisme; il y a lieu de comprendre que la démocratie en Afrique francophone, se construit de nos jours “sous le signe du platonisme, ou plus exactement d’un « néoplatonisme » politique, qui privilégie la forme sur le contenu, se méfie de la souveraineté du peuple et redoute autant l’altérité que le pouvoir de l’opinion”. 

Pour Platon “la démocratie aurait tort de vouloir se diluer dans le peuple. Les affaires de la Cité selon Platon sont trop sérieuses pour être laissées à l’appréciation du peuple, vulgaire « troupeau dépourvu de cornes».  

Et c’est cela la compréhension de la démocratie des actuels dirigeants des pays francophones d’Afriques. 

Ceci dit, les obstacles à la transition démocratique en Afrique francophone c’est d’abord son élite. Elle est soutenue par des groupes d’intérêt en Occident, amis ou représentants de ceux-ci parmi les pouvoirs africains et n’entendent pas voir le peuple africain exercer pleinement sa souveraineté. 

Ce qu’il faut pour consolider la démocratie 

Et pour sortir de ces limites de la démocratie formelle, il nous faut une élite vertueuse, intègre, des “politiques moraux”, c’est-à-dire avec des acteurs publics, considérant que les principes de la prudence politique peuvent coexister avec la morale, qui soient suffisamment responsables et matures 

Le chemin vers la consolidation de la démocratie est long et parsemé d’obstacles, car l’Europe a eu besoin de 8 siècles pour arriver là où elle est aujourd’hui.

Les forces progressistes et libérales dans les pays francophones d’Afriques peuvent aussi y arriver, mais à condition qu’ils comprennent que la démocratie c’est avant tout le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. 

Et que la France et tout comme l’Occident cessent d’influencer négativement le processus de démocratisation en soutenant des pouvoirs despotiques sur le continent.  

À défaut des termes tels que « démocratie défaillante », « démocratie autocratique » et « démocratie bloquée » seront toujours à l’ordre du jour et ouvriront le chemin du  désenchantement et des coups d’Etats militaires à répétition. 

Aissatou Chérif Baldé

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *