Guinée/L’ ethnocentrisme politique, un facteur de blocage de la consolidation démocratique.

Le pluralisme socioculturel ne devrait pas être incompatible avec la démocratie, comme idée et mode de régulation politique en Guinée. 

De l’ indépendance à nos jours, ce qui, sous d’autres cieux, constitue une richesse de l’espace sociopolitique, est devenu dans le pays de Mamadi Doumbouya , le « nœud gordien» du marigot politique guinéen. 

Et pour cause, le débat politique est réduit à l’instrumentalisation ou à la manipulation des différences ethniques à des fins strictement électoralistes et ultimement pour accéder ou se maintenir au pouvoir.

L’arrivée de la junte militaire guinéenne au pouvoir le 05 septembre 2021 n’a pas changé la donne. Elle a plutôt amplifié l’ethnisme politique et donner de la teneur à ce phénomène. 

Pour le comprendre, il suffit de jeter un regard critique sur les nominations fantaisistes de l’ancien légionnaire français et de certaines de ses actions. 

Certes, c’est un euphémisme de dire que les acteurs politiques guinéens, tous bords confondus, procèdent à la substitution de l’intérêt communautaire à l’intérêt national, au favoritisme, au népotisme, au clientélisme.

Mais force est de reconnaître que les questions essentiellement liées au développement du pays, à la réduction des inégalités sociales, tout comme celles relatives à la sauvegarde des acquis démocratiques, sont reléguées au dernier. Et tout tourne essentiellement autour des idéologies ethnicistes.

Or nous savons qu’aucune démocratie ne peut fonctionner dans une société éthniciste, aucune vision d’ensemble des choses, aucune politique sérieuse ne peut être entreprise, avec succès dans un tel contexte.

Facteurs favorisant l’ethnicité

Le facteur favorisant ce phénomène encore plus est la déconstruction de la dimension institutionnelle du pouvoir politique par des acteurs politiques et étatiques en usant de la culture du mythe du chef dans les sociétés africaines.

Un fait qui depuis le régime de Sékou Toure jusqu’à nos jours, n’a eu que des conséquences très négatives sur le processus de formation de la nation guinéenne. Car cette conception donne à la notion du pouvoir politique un caractère patrimonial. 

Et dès lors, aussi bien ceux qui gouvernent que ceux qui aspirent à gouverner, se comportent comme si le pouvoir était leur propriété personnelle, un élément de leur patrimoine qu’ils pourraient transmettre à leurs héritiers. 

Ces comportements commencent le plus souvent d’abord au sein des partis politiques et se poursuivent une fois au pouvoir.

Le cas de l’ancien président de la République Alpha Condé en est exemple illustratif. Et malgré qu’il soit évincé du pouvoir et qu’il ait passé plus de deux à la tête du parti, il ne pense pas à rendre le tablier. 

Dans ce contexte, il n’est pas surprenant de constater que les constitutions adoptées depuis 1990 ont toujours été du “taillée sur mesure” en Guinée. Elles ont été essentiellement conçues en faveur d’un chef qui doit rester éternellement à la tête de l’État. 

Une façon donc  d’assurer la pérennité d’un régime, enterrant ainsi, définitivement, toute possibilité d’alternance démocratique en Guinée.

L’autre facteur qui fait que l’ethnisme politique continue à s’enraciner en Guinée est dû à la vaste plaisanterie démocratique orchestrée par les acteurs étatiques, avec comme tendance majeure la prolifération des partis politiques inutiles.

En Guinée les hommes politiques et les partis politiques poussent comme des champignons, chacun veut faire de la politique, même s’ils n’ont ni la capacité, ni les compétences, ni les valeurs et vertus morales pour occuper les services publics. Ils s’y engagent quand même, puisque l’État guinéen est le seul endroit où l’on peut devenir riche sans fournir des efforts.

Le phénomène est souvent couplé avec celui d’un réel vagabondage politique dont les coupables se retrouvent acteurs au sein de plusieurs partis politiques qu’ils créent suite à des désaccords avec leurs anciens collaborateurs.

Et cette situation prouve que le système multipartiste facilitant la création des partis politiques est mal ficelé en Guinée et favorise immanquablement la discorde sociale dans ce pays avec la naissance de nombre élevé de partis politiques et des candidats qui semblent confondre les élections présidentielles aux élections de quartiers de Conakry. 

En effet, une telle attitude exhorte assurément une politique qui ne se fait que dans le contexte régionaliste, ethnocentrique et clientéliste et encourage la comédie démocratique et la polarisation des divisions éthniques.

Et les partis politiques au lieu d’être des organisations véhiculant des idéologies, où on parle de projets de sociétés, de projets de développement de la société guinéenne. C’est-à-dire  un endroit où l’on parle de l’édification d’une société démocratique, caractérisée par une culture politique élevée qui demeure un travail quotidien et incessant. Ils deviennent maîtres dans l’organisation de véritables calembours déguisés en alliances politiques. 

Celles-ci se font et se défont au gré des enjeux électoraux, juste avant leur précipitation mécanique dans une dislocation plus ou moins parfaite. 

À cela s’ajoute le fait que les grands partis de l’opposition sont victimes constantes des manipulations du pouvoir visant la scission au sein de leur formation politique. 

L’archanemement du pouvoir militaire guinéen sur la formation politique de Sidya Touré ou encore celle de Cellou Dalein Diallo en est un exemple illustratif. 

Comment lutter contre ce phénomène

Pour lutter contre ces phénomènes de blocage de la consolidation de la démocratie; notamment l’ethnocentrisme politique. 

Il est impératif de réinstaurer le caractère institutionnel du pouvoir politique, en commençant par les partis politiques d’abord, afin d’amener les dirigeants à se conformer aux textes préétablis, et ne pas être tenté de les modifier à leurs ambitions politiques personnelles. 

Et il faut surtout les amener enfin à reconnaître qu’ils ne sont que des représentants de la nation et non les propriétaires de la souveraineté.

Sur ce, il faut mettre en place des systèmes qui reconnecteront les partis politiques avec leur mission primaire: Celle de constituer des vecteurs d’idéologies axées sur la résolution de problèmes de développement dans un monde bloqué par la complexité d’idéaux socio-politiques et économiques.

Aissatou Chérif Baldé

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