Leçon malgache et cécité guinéenne (Par Alpha Issagha Diallo).

À la Sorbonne, Cellou Dalein Diallo n’a pas seulement parlé de démocratie, il a parlé d’avenir. Derrière une anecdote malgache, il a offert une leçon universelle : celle d’un homme qui a vu de près la mécanique des illusions électorales, et qui en connaît les conséquences.

En novembre 2023, il dirigeait, au nom de l’Internationale libérale, une mission d’observation électorale à Madagascar pour la présidentielle du 16 novembre 2023. La mission était composée d’experts politiques venus de plusieurs pays et placée sous sa coordination en tant que vice-président de l’organisation. Le scrutin s’était déroulé dans un climat de méfiance politique élevée ; plusieurs candidats avaient boycotté l’élection, dénonçant un manque d’inclusivité et de transparence.

Dans son rapport préliminaire, l’Internationale libérale a appelé le gouvernement malgache à ouvrir un dialogue national pour apaiser les tensions post-électorales, estimant que la stabilité politique exigeait un cadre de concertation élargi à toutes les forces politiques. Le rapport concluait sur la nécessité d’un renforcement institutionnel et d’une participation équitable de toutes les sensibilités nationales.

C’est dans ce contexte que Dalein, fidèle à son franc-parler diplomatique, avait confié au président Andry Rajoelina :

“Si vous remportez une élection dans ces conditions, vous ne pourrez pas faire l’économie d’un dialogue avec les forces vives de la nation. Sinon, la frustration vous submergera.”

Quelques mois plus tard, un député européen lui rappela cette conversation pour lui dire:“Vous aviez raison, Monsieur Diallo.”

Ce rappel sonnait comme une prophétie. Et il résonne aujourd’hui comme un avertissement pour la Guinée.

Car ce que Dalein observait à Antananarivo, c’est exactement ce que la Guinée vit aujourd’hui : une démocratie confisquée, un État verrouillé, un pouvoir obsédé par le contrôle et incapable de comprendre que la stabilité ne s’obtient pas par la peur, mais par la confiance.

Le régime actuel, qui prétendait sauver la République, la dévore morceau par morceau. Il parle de refondation, mais construit la peur. Il parle de justice, mais distribue la vengeance. Il parle d’unité, mais pratique la purge. Ce pouvoir n’est pas né pour réconcilier la Guinée : il est né pour se justifier. Et chaque discours qui promet la transition n’est qu’une parenthèse d’imposture entre deux répressions.

Le 5 septembre 2021, la foule n’a pas acclamé les bottes : elle a célébré la chute d’un homme. Mais, aveuglés par leur propre propagande, les maîtres du jour ont pris l’ovation pour un mandat. Ils ont cru que la liesse populaire signifiait adhésion, alors qu’elle n’était qu’une explosion de soulagement. Depuis, la déception se mesure au silence des rues, au vide des regards, à l’exil des voix libres.

La Guinée vit une tragédie cyclique : chaque fois qu’un tyran tombe, un autre se découvre une vocation. Chaque fois que l’espoir renaît, un uniforme le rature. Chaque fois qu’un peuple s’agenouille pour prier, un soldat croit qu’il s’incline. Ceux qui gouvernent aujourd’hui devraient méditer cette évidence : aucune dictature ne résiste à la fatigue du peuple. La peur ne dure jamais éternellement — elle se fissure, elle s’effrite, elle se retourne. Et le jour où elle se retourne, les bottes n’ont plus de direction.

Ce que Dalein disait à Antananarivo n’était pas une leçon étrangère : c’était un miroir tendu à Conakry. La Guinée doit choisir entre la lucidité et la répétition, entre l’État et le réflexe militaire, entre la dignité et la déchéance. La leçon malgache valait avertissement. Mais la cécité guinéenne, elle, tient de la malédiction.

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