Guinée:Simandou, la montre et le Premier ministre Toto (Par Alpha Issagha Diallo).

Ainsi, Bah Oury nous explique, avec le ton paternaliste de quelqu’un qui croit parler à des enfants de maternelle, qu’il ne faut « pas être plus pressé que la montre » pour accéder aux contrats de Simandou. 

Autrement dit : on lance le projet en grande pompe, on fait défiler les caméras, les ministres, les délégations étrangères, on bombarde les mosquées, les réseaux sociaux, les cérémonies et les écoles de propagande.

Mais pour la transparence, il faudrait subitement apprendre la patience, respirer, attendre, se calmer. De qui se moque-t-on exactement ?

Simandou ne date pas d’hier. Ce n’est ni l’invention providentielle du CNRD, ni un miracle descendu dans les mains du Premier ministre-toto. C’est un feuilleton vieux de plusieurs régimes, négocié pierre par pierre, contrat par contrat, avec Rio Tinto, Chinalco, SMB-Winning et des acteurs qui ont, eux, laissé des traces écrites, des rapports, des accords publiés. 

Puis le CNRD arrive, gèle, menace, renégocie, réinvente la roue et finit par signer en fanfare en 2023, entouré de drapeaux, de déclarations lyriques et de promesses XXL, allant jusqu’à offrir à la Chine un tapis rouge géologique digne d’un sommet du G20. 

Et depuis, les panneaux publicitaires, les cérémonies officielles et les communiqués « historiques » s’enchaînent avec une rapidité qui donnerait des vertiges à un rouleau compresseur.

Mais voilà le Premier ministre qui déclare, avec un sérieux désarmant, que l’important pour les Guinéens « qui ne sont pas experts en comptabilité », c’est le résultat. 

Ce qui sous-entend ceci: vous êtes trop ignorants pour comprendre ce qu’on signe en votre nom, mais vous êtes suffisamment matures pour en subir les dettes, les impacts environnementaux, les expropriations, les accidents mortels sur les chantiers et les conséquences budgétaires. Apparemment, la République peut bien être gérée comme une tontine privée, tant que le citoyen applaudit en silence.

Et puis il ose dire aisément: « Tous les contrats passeront de toute façon devant l’Assemblée… ne soyez pas plus pressés que la montre. »

Ah bon ? Vous reconnaissez donc que l’Assemblée, que vous instrumentalisez à la demande, interviendra après la signature, après l’engagement, après la propagande ? Un Parlement transformé en chambre d’homologation qui timbre ce que l’Exécutif a déjà ficelé ? Même les dictatures les plus brouillonnes auraient rougi d’un tel aveu.

Le plus savoureux, c’est cette obsession à demander la patience à un peuple à qui l’on ne demande jamais son avis. Patience pendant que le minerai est déjà dans les projections chinoises. Patience pendant que les accidents sur les chantiers s’accumulent. Patience pendant que les infrastructures sont promises comme des bonbons économiques. Patience pendant que la propagande tourne à plein régime pour amadouer l’opinion et présenter Simandou comme le trophée de la transition. 

Patience, encore et toujours, pendant qu’on dilapide, qu’on bricole, qu’on signe Dieu sait quoi au nom d’un État qui, visiblement, n’a de souveraineté que le mot.

La vérité, c’est que si ces contrats étaient limpides, favorables, équilibrés, le Premier ministre serait déjà en train de les brandir sur le perron, d’organiser des panels, de s’enorgueillir de chaque clause. Mais à la place, on infantilise le peuple, on joue avec les métaphores de montre, on sermonne, on esquive, on repousse, on brumise la vérité en espérant que l’opinion oubliera les questions essentielles : qui gagne vraiment dans Simandou ? Qui signe ? Qui profite ? Qui surveille ? Qui contrôle ? Certainement pas l’Assemblée qui arrive après les tambours. Certainement pas les Guinéens, qui sont priés de croire que la transparence est un luxe, et que la reddition de comptes est un caprice.

Bah Oury nous demande de regarder la montre. Mais c’est son gouvernement qui joue contre la montre. C’est le régime qui espère que le train de minerai partira avant que les Guinéens ne comprennent ce qui a été fait derrière leur dos. C’est lui qui redoute que la lumière ne se fasse sur les clauses, les engagements, les concessions et les petits arrangements entre « partenaires », au sens le plus toxique du mot.

Non, Monsieur le Premier ministre : Nous ne serons pas moins pressés que la vérité. Et tant que cette vérité restera enfermée dans les tiroirs d’une transition qui s’accroche à ses secrets comme un naufragé à sa planche, nous continuerons d’ouvrir les yeux là où vous espérez imposer le silence.

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