Guinée: quel scénario possible dans le contexte politique actuel plein d’incertitudes ? (PAR AISSATOU CHÉRIF BALDÉ)

Après l’annonce de la suspension des plus grands partis politiques du pays la semaine dernière et la tenue d’un référendum pour la validation de la constitution taillée sur mesure de la junte  sur fond d’un recensement démographique éthnique, plusieurs scénarios sont envisageables dans le contexte politique actuel. 

Car la prolongation de la transition sans concertation des partis politiques en fin d’année 2024 et l’envie d’éradiquer les partis politiques opposés à leur projet de confiscation du pouvoir prouve que la junte ne veut pas faciliter un retour rapide et apaisé à l’ordre constitutionnel. Les techniques dont elle fait usage depuis bientôt quatre ans illustrent cet état de fait. 

Réduire les politiciens au silence 

La première technique utilisée est celle de réduire les politiciens au silence en les envoyant en prison ou en  forçant d’autres à l’exil. 

De nos jours, les ténors de grands partis politiques notamment Sidya Touré, Cellou Dalein Diallo, ont dû quitter le pays et ceux qui sont restés ont été réduits au silence. D’autres comme Aliou Bah, Foniké Menge Sylla, Billo Bah sont en prison ou bien portés disparus. 

Toute velléité de former des mouvements de la société civile, de manifester ou de s’exprimer contre le pouvoir en place a été éliminée ou étouffée. 

L’autre technique est l’intégration des politiciens au pouvoir

La junte militaire guinéenne a nommé plusieurs membres influents des partis politiques tels l’actuel que porte-parole du gouvernement de transition Ousmane Gaoual Diallo, l’actuel Premier ministre Amadou Oury Bah et récemment Cellou Baldé comme ministre de la jeunesse et tant d’autres avec pour objectif émietter et affaiblir les partis politiques de l’opposition. 

Fermeture des médias et intimidation 

Et la troisième technique employée par la junte militaire guinéenne pour confisquer le pouvoir, est celle de réduire tous les grands médias du pays au silence en faisant usage des techniques de censure, d’arrestations de journalistes, d’intimidations, de restrictions des médias privés et des réseaux sociaux et maintenant le retrait des agréments des groupes de médias privés (Hadafo, FiM FM, Djoma FM) et surtout d’achats de conscience de journalistes qui sont contraints de changer leur ligne éditoriale en faveur de la junte militaire. Désormais sur place, aucun média n’ose émettre des informations ou avis qui ne conviennent pas à la junte. Ils ont tous été réduits en silence. Et Yacine Diallo patron de la Haute Cour de Communication est prêt à envoyer tous les journalistes qui ne se soumettent pas à ses règles perfides en prison, de fermer leurs médias pour toujours ou d’être enlevés comme Habib Marouane Camara. 

Maintenant quels scénarios possibles après le report des élections ? 

Premièrement, ayant réussi l’enterrement de la transition politique, Mamadi Doumbouya compte désormais mettre hors d’état de nuire tous les adversaires de taille. Il n’a désormais aucun intérêt à aller aux urnes le plus rapidement que possible, c’est pourquoi cette année encore, aucune élection présidentielle ne sera tenue et il peut compter sur le régime français. Même la tenue du référendum constitutionnel n’est juste qu’un alibi pour endormir le peuple et convaincre ses maîtres de sa bonne volonté. 

Et il veut avec ce scénario être sûr que lorsqu’il sera prêt d’organiser les élections taillées sur mesure, qu’il n’aura en face de lui aucun opposant qui peut représenter une menace dans la course pour la présidence.

Ainsi il organisera des élections et aura comme adversaire un opposant fabriqué et soutenu par ses maîtres qui participera aux élections gagnées d’avances par Mamadi Doumbouya dans le but de légitimer celles-ci. 

Le deuxième scénario est celui d’un coup d’État militaire 

Ce scénario est celui qui inquiète de plus, car la nature de la gestion de l’État démontre que nous avons à faire à une junte militaire guinéenne pilotée par plusieurs têtes. La nature des nominations où chaque tête cherche à placer ses pions, le manque de transparence qui entoure la gestion des affaires publiques, l’écartement,, l’assassinat, la disparition des militaires ne faisant pas partie du clan facho-ethno autour de Mamadi Doumbouya le prouvent. 

Mieux, une révolution de palais conduite par les membres du clan de l’ancien président déchu Alpha Condé contraint à l’exil ou encore des militaires exclus de la gestion du pouvoir, contraints à la retraite forcée ne sont pas à écarter.

Il faut noter que Mamadi Doumbouya n’a en réalité pas de condisciple au sein de l’armée guinéenne. C’est un ancien légionnaire français qui a été placé en 2018 à la tête du groupement des forces spéciales par le président déchu Alpha Condé sur fond de calculs ethnicistes. 

Cette unité d’élite avait pour mission de protéger le chef de l’État Alpha Condé contre d’éventuels coups de force, mais elle s’est finalement retrouvée au cœur du renversement de son régime. 

Partant de cette hypothèse, le scénario d’un autre coup de force militaire n’est pas à exclure. 

Même si pour le moment, la junte fait croire au peuple qu’elle contrôlait l’appareil sécuritaire, capable de maîtriser rapidement et efficacement toute menace à son pouvoir. 

Pourtant les évènements comme l’évasion du Colonel Claude Pivi de la maison d’arrêt de Coronthie, l’arrestation même d’un charlatan ayant prédit la chute de Mamadi Doumbouya ou encore les incendies récurrents dans le pays sans que les causes ne soient jusqu’à présent connues, ou bien l’existence présumée de commando invisibles prouvent que la junte militaire guinéenne n’a forcément pas la maîtrise de la situation sécuritaire du pays et manque surtout de sérénité. 

Les sorties de Mamadi Doumbouya où on a l’impression que nous sommes dans un pays en guerre du moment où il se fait accompagner de plusieurs militaires armés jusqu’au dent à l’image d’un chef d’une guérilla le démontrent.

Soulèvement populaire comme troisième scénario 

Le troisième scénario sera sans doute le soulèvement populaire piloté par les forces vives de la nation comme c’est fut le cas en 2006 et 2007 ou encore en 2009. 

Car depuis la nomination de l’actuel Premier ministre Amadou Oury Bah et la fermeture des médias privés du pays suivis par des sorties très peu rassurantes et bancales du premier ministre quant au retour à l’ordre constitutionnel, la tension est toujours palpable dans le pays et les réactions virulentes des forces vives se multiplient. 

Des manifestations des forces vives sont d’ailleurs prévues le 05 septembre 2025 dans le pays et d’autres sont prévues le 06 septembre en Europe, aux États-Unis et au Canada. 

Et puis la situation socio-économique est extrêmement inquiétante. Car le pays fait face à une grave pénurie de liquidités à la Banque centrale de Guinée. 

Les Guinéens ont déjà montré à plusieurs reprises un ras-le-bol d’une crise sociopolitique et économique liée à la cherté de la vie, au manque d’électricité sans fin. 

La Guinée n’est pas le Mali, le Tchad ou le Burkina Faso 

Espérons que Mamadi Doumbouya et son premier ministre Amadou Oury Bah vont se ressaisir et conduire le pays vers un retour à l’ordre constitutionnel apaisé pour éviter au pays un nouveau désastre. 

Et que Doumbouya n’est pas si mal conseillé pour continuer à cautionner que chaque transition politique en Guinée soit forcément un échec et que la violence, l’arbitraire doivent être la seule réponse de l’État aux multiples problèmes guinéens

Car la Guinée n’est ni le Mali, ni le Burkina Faso, ni le Tchad. 

La Guinée n’est pas confrontée au terrorisme ou encore à des mouvements rebels comme c’est le cas des pays cités ci-dessus. 

Les problèmes guinéens sont plutôt liés au manque de volonté politique et d’engagement des acteurs étatiques qui refusent de faire aboutir le processus de démocratisation en Guinée.

Aïssatou Chérif Baldé 

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